Envisager la disparition des moyens de paiement !
Quant à l’avenir des paiements, les prévisions ne manquent pas mais la focale adoptée paraît la plupart du temps trop courte (on n’envisage que le mobile banking) ou trop floue (on annonce des paiements « sans friction », totalement transparents, qui paraissent assez utopiques). Une sorte de consensus s’est installé néanmoins : les espèces devraient tendre à disparaître, les portefeuilles devenir électroniques et l’on devrait de plus en plus utiliser pour payer notre principal écran de proximité, notre mobile, devenu smartphone. Dans la foulée, pour certains, les paiements devraient devenir quasiment gratuits et les banques perdre ainsi l’une de leur principales sources de revenu, le marché étant emporté par l’ingéniosité de startups conquérantes et par la puissance des grands de l’internet.
Il y a cependant un problème. Le paiement par mobile décolle bien plus lentement qu’attendu. Au mieux sont enregistrés des succès de niche, quand on attendait un remplacement large et rapide des moyens de paiement existants et notamment des espèces et des chèques. Dans ces conditions, alors qu’elles font face à une rentabilité de moins en moins forte des paiements, le risque pour les banques n’est pas tant d’affronter la concurrence de nouveaux acteurs que d’avoir à supporter le développement de solutions qui ne seront vraiment rentables qu’à terme, tout en devant entretenir les moyens de paiement existants. Une telle configuration impose un attentisme que trop d’observateurs confondent avec une fondamentale incapacité des banques à innover !
En matière de paiements, la tendance est le plus souvent de ne penser qu’en termes techniques et de croire que les usages vont naturellement et même, au moins chez les plus jeunes, spontanément s’aligner sur les nouvelles technologies. Cette manière d’envisager les choses peut générer des erreurs car, en matière de paiements, la dimension psychologique est déterminante.
On attend que les nouveaux modes de paiement remplacent immédiatement les autres mais, pour le public, tous les moyens de paiement ne sont pas équivalents et ne sont pas utilisés indifféremment. De nouveaux moyens de paiement qui apparaissent s’ajoutent ainsi à ceux qui existent, plutôt qu’ils ne les remplacent. Le contraire ne s’est encore jamais vu !
Comme le montre l’exemple japonais (NTT Docomo), même adoptés à une large échelle, les portefeuilles électroniques tendent à n’être utilisés que pour des types de règlements précis.
Dès lors, que doivent faire les banques ? Coller à ces évolutions ? Tenter de reproduire pour les comptes en ligne ce qu’elles ont réussi à faire dans les années 80 pour les cartes bancaires : le développement d’un scheme national qui s’impose aux grands opérateurs internationaux ? Les stratégies sont multiples et les évolutions rapides. Les portefeuilles électroniques, ainsi, peuvent paraitre déjà dépassés. Et alors que plusieurs grandes banques françaises développent Paylib, un wallet, d’autres, avec Zapp au Royaume-Uni ou le projet Gimb en Allemagne, mettent plutôt sur pieds une solution embedded.
Tandis, en effet, que l’attention se porte principalement, souvent exclusivement, sur le mobile banking, sont apparues des innovations qui, en matière de paiements, paraissent bien plus radicales et susceptibles d’enclencher de profonds bouleversements des usages et des habitudes. Ces innovations concernent les « paiements embarqués », liés aux objets connectés, ainsi que le développement des smart payments.
Pour envisager l’avenir des paiements, la focale la plus large s’impose. Elle invite à envisager la disparition à terme des moyens de paiements. Plusieurs innovations l’annoncent aujourd’hui et s’il n’est guère réaliste d’imaginer qu’elles remplacent rapidement les anciens moyens de paiement, elles pourraient bien revanche déclasser assez vite… les innovations sur lesquelles on compte aujourd’hui !
Sous cette perspective, les moyens de paiement s’effaceront tandis que la question de la gestion des identités numériques personnelles deviendra essentielle – certaines banques l’ont déjà compris. Les actes de paiement ne pourront plus s’envisager sans « comptes intelligents ». Tout pourrait bien ainsi se concentrer de plus en plus non tant sur les moyens de paiements eux-mêmes que sur l’interface applicative à partir de laquelle on réalisera ses opérations de paiement.
Mais un challenge plus immédiat – et différent selon les pays – attend les banques : les paiements instantanés, en temps réel. Cela participe pleinement aux évolutions en cours vers plus de transparence et de fluidité des paiements. Il a été estimé que le paiement instantané ne répondrait à un véritable besoin que pour 10% des transactions de paiement. Pour autant, son impact psychologique serait sans doute important car il possède une dimension rassurante, sur la base de laquelle les paiements digitaux pourraient prétendre remplacer véritablement le cash et même les cartes bancaires.