Article publié dans Le Cercle les Echos, le 12 juin 2012.
La baisse de fréquentation des agences est avérée. Pour les banques, c’est évidemment un élément déterminant. Mais peu d’indicateurs sont disponibles et les explications les plus fréquemment proposées – tenant notamment compte de l’essor de la banque en ligne – ne sont pas forcément les plus pertinentes.
L’unité urbaine de Chantilly (Oise) compte 37 000 habitants. Ville participant de «l’aire urbaine » parisienne, Chantilly a vu, depuis le milieu des années 90, sa population augmenter à due proportion de la hausse de l’immobilier parisien, créant un afflux de classes moyennes plutôt jeunes et aisées – le cœur de cible de la plupart des banques françaises. Sans surprise, ainsi, à Chantilly les principaux commerces de proximité sont désormais les agences immobilières (on en compte 46, une pour 804 habitants), les salons de coiffure (42, un pour 880 habitants !) et les agences bancaires (30, une pour 1 233 habitants ; soit plus que la moyenne nationale). Par comparaison, on ne compte que 16 pharmacies, 15 boulangeries et 6 bureaux de poste.
Ces dernières années, cependant, les prix de l’immobilier cantilien ont à leur tour poussé les classes moyennes jeunes à aller se loger encore plus loin. La ville voit sa population décroitre ainsi, tandis que les agences bancaires se vident. Sur des plages horaires de plus en plus étendues en semaine, en effet, elles accueillent moins de 5 visiteurs simultanés, ce qui est le seuil moyen en France en deçà duquel il y a moins de clients que de personnels dans les agences. Pourtant, pour accompagner la clientèle, il faut créer encore d’autres agences, plus loin. Or cela coûte cher – notamment dès lors que 60% des chargés de clientèle ont un diplôme universitaire ou équivalent, ce qui est de loin le taux le plus élevé d’Europe.
Ces dix dernières années, le nombre d’agences bancaires a augmenté de 8% par an en moyenne. Mais la fréquentation de ces agences baisse réciproquement de 9% en moyenne par an depuis 3 ans. Pour les banques, leur réseau d’agences n’est plus qu’un élément d’un dispositif de vente multi-canal, incluant banque en ligne et centres d’appels – pour le Crédit Agricole, par exemple, 60% des demandes de crédits à la consommation ont été réalisées en ligne en 2011. Mais les agences absorbent à elles seules en moyenne 60% des coûts d’une banque de détail.
Les agences bancaires n’attirent plus régulièrement une majorité de clients. Lié à la montée en puissance des nouveaux canaux de distribution, le phénomène est général mais d’autant plus accentué en Europe du Sud, où les agences bancaires ont particulièrement fleuri : 943 agences pour 1 million d’habitants en Espagne contre 196 au Royaume-Uni, 786 agences en Italie contre 453 en Allemagne. Une agence pour 1 297 habitants en France ; la moyenne est de une pour 2 123 dans l’UE et de une pour 3 000 aux USA.
La baisse de fréquentation des agences bancaires est ainsi une tendance générale et apparemment durable. Dans ces conditions, le nombre d’agences non rentables pourrait atteindre un quart du parc d’ici cinq ans, surtout avec le ralentissement actuel du marché immobilier, s’il se confirme. Estimé à 18% aux USA (« zombie branches »), le nombre d’agences se situant en deçà du seuil de rentabilité représente selon les réseaux de 10% à 15% en France. Les fermetures d’agences – jusqu’ici généralement évitées – seront donc inévitables mais ne pourront suffire. Pour accompagner la clientèle, d’autres devront être créées. De nouveaux modèles d’agence sont apparus ces dernières années. Il reste cependant à trouver leur bon mix au sein des réseaux. Ces nouveaux modèles suffiront-ils par ailleurs à inverser la tendance ? Ces dernières années, ni la diversification des produits vendus en agence (les résultats sont très inégaux entre réseaux, y compris pour les assurances), ni l’automatisation des guichets n’ont été tout à fait probants (le temps de traitement d’une opération dans le périmètre des agences a augmenté d’une minute en moyenne depuis 5 ans). Et déjà de tout nouveaux modèles d’exploitation sont à l’étude. Quoi qu’il en soit, la prise en compte des comportements différenciés des clients sera déterminante. C’est ce que permet d’apercevoir notre Baromètre 2012 des réseaux d’agences en France.
Les agences concentrent encore l’essentiel des ventes mais l’agence est un instrument de fidélisation bien plus que de conquête commerciale. Les ventes qui y sont réalisées représentent en moyenne 18 pour mille des visites reçues : le même taux qu’une campagne d’emailing ! 80% des clients se rendent toujours dans leur agence mais cela est de moins en moins fréquent et recouvre des situations contrastées. La proportion, parmi l’ensemble des clients, de ceux qui se rendent dans leur agence de une fois par mois à pratiquement jamais est de 43% en moyenne dans les agences de plus de 15 ans et de 54% dans celles créées il y a moins de 5 ans. Ici, on ne peut incriminer la banque en ligne de détourner les clients et l’explication paraît beaucoup plus triviale : comme le souligne l’exemple de Chantilly ci-dessus, ces dernières années les créations d’agences ont accompagné, au sein de vastes agglomérations urbaines, le déplacement de populations qui, de plus en plus, ne travaillent pas là où elles résident. Or, pour ces populations, les horaires d’ouverture des agences sont tout à fait inadaptés. Il suffit, par comparaison, de consulter les horaires que pratiquent les médecins généralistes…
Surtout, une donnée déterminante s’impose : l’agence s’insère désormais au sein d’un dispositif de vente multi-canal où les différents canaux s’additionnent et se complètent plus qu’ils ne s’excluent. L’attrait de la banque en ligne, ainsi, ne suffit pas à expliquer la baisse de fréquentation des agences : contre toute attente, les études montrent que les clients qui s’y rendent le plus sont souvent ceux qui utilisent également le plus internet. Ce qui s’est passé est en fait assez différent : le nombre d’agences a considérablement augmenté, créant un parc très dense et toujours en croissance nette. Mais le nombre de clients « actifs », largement utilisateurs de services et de conseils, est demeuré lui pratiquement stable, ne concernant que de un quart à un tiers de la clientèle. Les autres se sont rabattus sur les automates, lesquels en nombre par habitant, sont devenus les premières « vitrines » des banques. Les ventes par chargés de compte se sont accrues ces dernières années mais il s’agit surtout de ventes croisées ciblant un nombre de clients limité. Si 80% des clients des banques déclarent avoir un conseiller attitré, la moitié d’entre eux est incapable de donner son nom !
Il n’y a pas de désaffection vis-à-vis des agences. En fait, nombre de clients souhaiteraient s’y rendre davantage. L’enjeu n’est donc pas d’arbitrer entre les canaux mis à disposition de la clientèle. L’enjeu est plus proprement « d’activer » les autres segments de clientèle. Instruments privilégiés de confiance, jouant sur une double dimension relationnelle et transactionnelle, les agences ont un rôle décisif à y jouer.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor