Alors que le rôle des produits dérivés dans la crise des subprimes a été largement analysé et débattu, il est également important de mettre en évidence les initiatives réglementaires et ce qui sera ainsi le « new normal » pour les produits dérivés sur l’ensemble de la chaîne opérationnelle et de la chaîne de valeur des établissements y recourant.
Étant donné que les produits dérivés jouent un rôle de plus en plus important sur les marchés des capitaux mais aussi au niveau des grands acteurs économiques, il semble évident que les multiples initiatives réglementaires ont voulu imposer entre autres les règles clefs suivantes :
• Bâle III / CRD IV : Oblige les institutions financières à mettre en réserve du capital propre tier 1, l’impact financier des changements dans le credit rating de leurs contreparties (selon un modèle interne ou selon l’approche standard), à calculer et rendre visible un ajustement crédit (CVA) pour tous les dérivés de gré à gré et favoriser pour les OTC une compensation avec une contrepartie centrale en appliquant un poids relativement faible au risque de crédit (cf. EMIR).
• EMIR : Ce règlement de l’Union Européenne a été mis au point pour augmenter la stabilité et la transparence des dérivés de gré à gré négociés. Il reste en évolution et continue à être élargi à davantage de contrats d’OTC. Il impose la compensation avec une contrepartie centrale et est accompagné d’un reporting central.
• Dodd-Frank-Act (USA) : Fournit un cadre global pour la régulation du marché des dérivés OTC, exigeant la transparence des opérations effectuées grâce à des échanges avec des chambres de compensation homologuées.
• Révision fondamentale du Trading Book : Stipule que le risque de crédit / risque de contrepartie dans le portefeuille de trading (trading book) doit être traité de la même manière que les autres actifs (banking book).
• IFRS 9 : Remplace l’ancienne norme IAS 39 et rassemble tous les aspects de la comptabilisation des instruments financiers, de la classification et de l’évaluation avec comme nouveauté, la pleine reconnaissance d’une couverture d’un portefeuille dans son ensemble et la comptabilisation de la dépréciation des opérations de couverture, ainsi que des pertes futures attendues sur prêts (1).
Un certain nombre de règles complémentaires sur le contrôle bancaire ont été décidées pour encadrer les produits dérivés en ajustant les exigences de capitaux propres, ainsi que les méthodes de calcul utilisées :
• L’approche standardisée de mesure du risque de contrepartie
• L’exigence de fonds propres pour les expositions bancaires aux contreparties centrales
• Un cadre de surveillance de la mesure et du contrôle des grands risques
Sans oublier MiFID II et MiFIR, qui entraînent divers changements…
MiFID II, combiné avec MiFIR, est probablement la réglementation la plus complète à ce jour, à la fois pour le trading et la déclaration des transactions, comme pour l’ensemble du cycle de vie d’une opération. Depuis MiFID I l’objectif est d’améliorer la protection des investisseurs, renforcer la concurrence et harmoniser le marché financier européen.
Voici les principaux thèmes des réglementions MiFID II et MiFIR :
– La protection de l’investisseur :
• Prévention des conflits d’intérêts et préservation des intérêts des clients
• Une plus grande transparence avec une documentation élargie
• Interdiction de (rétro-) commissions dans le cadre du conseil sur les investissements en portefeuille de gestion
• Exigences particulières d’indépendance en conseil en investissement
– La transparence du marché :
• Transparence pré- et post-négociation
• Reporting avec la fourniture de rapports sur chaque transaction, ainsi que des données consolidées sur les positions
– Infrastructure de marché :
• Encadrement algorithmique des traitements à haute fréquence
• Création d’une nouvelle catégorie de facilités de négociation organisées (« OTF ou Organised Trading Facility»), comme une nouvelle catégorie de lieu de négociation réglementée
• Pour chaque client, un accès non discriminatoire au marché et au informations financières
• Application des obligations correspondant à EMIR de négocier et compenser les dérivés par une contrepartie centrale
• Contrôle des limites et des risques sur dérivés de matières premières
– Gouvernance :
• Exigences à long terme concernant la gestion des organismes de gestion
• Gestion saine et prudente qui favorise l’intégrité du marché et les intérêts du client
– Autorités de surveillance :
• Autorisation d’intervenir à tout temps en ce qui concerne la transaction et l’instrument négocié, ainsi que sur le financement des activités de marché et des pratiques commerciales
• Autorisation d’observer pour chaque produit son processus de gouvernance et d’intervenir comme jugé nécessaire
… et vont générer des effets secondaires, notamment sur :
– La liquidité : les nouvelles réglementations relatives à la transparence, les OTF et les obligations commerciales auront certainement une incidence sur la liquidité du marché, notamment dans le cadre d’une modification des méthodes de négociation
– La recherche financière : les règles MiFID II sur la recherche d’investissement, empêchant le regroupement avec d’autres services, rendra le coût / prix de la recherche plus transparent
– La disparition de « dark pools » : le régime accru de transparence dans le cadre de MiFID II restreindra l’utilisation de « dark pools» et d’autres lieux de négociation opaques avec une multitude de nouvelles informations à fournir, liées à la découverte / fixation des prix.
MiFID II et MiFIR deviendront des éléments centraux d’un cadre de réglementation très complexe. Diverses adaptations opérationnelles et applicatives doivent donc être identifiées et analysées afin de garantir une mise en œuvre efficace et générer des effets de synergie. Cela concerne, par exemple, l’interaction entre EMIR et MiFIR dans la négociation de dérivés OTC et leur compensation ou les conditions de la conception et vente de différents produits financiers, tels que les fonds, certificats, assurances ou comptes de dépôt.
En plus de l’impact sur leur établissement (exigence de fonds propres, garanties et la gestion de la marge, la compensation, les diversifications), les institutions financières ne devraient pas sous-estimer l’impact sur leurs méthodes de calcul actuelles, entraînant un important effort de mise en œuvre pour se conformer aux nouveaux règlements. Dans cet esprit, les institutions financières (et autres acteurs économiques concernés) doivent évaluer s’ils auront besoin d’une adoption rapide des nouvelles méthodes de calcul et s’ils ont les capacités nécessaires pour mesurer l’impact sur leur entreprise. Par exemple, ont-ils le calculateur et l’outil d’analyse mesurant l’impact sur les exigences de capital de risque de défaut, le capital CVA, le ratio de levier, le risque de concentration, etc. afin de prendre les bonnes décisions de gestion ?
Une fois que cela établi, il faut établir les feuilles de route en fonction des dates cibles d’application de chaque réglementation, tout en maintenant une stratégie réglementaire globale, animée par les synergies possibles et indispensables.
Michael Lemke / Score Advisor
(1) Pour aller plus loin sur l’IFRS 9 : https://score-advisor.com/les-grands-changements-de-lifrs-9/