Des agences bancaires aussi belles que surprenantes, cela existe. Au Japon. Où l’architecte Emmanuelle Moureaux a conçu cinq agences pour la Sugamo Shinkin Bank. Derrière ces réalisations se laisse deviner une démarche particulièrement aboutie, dont beaucoup de banques occidentales pourraient s’inspirer.
La Sugamo Shinkin Bank est une banque mutualiste dont le nom était spontanément associé à une clientèle âgée, retraitée. Voulant modifier cette image, son Président a sollicité Emmanuelle Moureaux, une architecte française installée à Tokyo.
Originaire de Bordeaux, où elle a fait ses études, Emmanuelle Moureaux n’avait jamais mis les pieds au Japon quand, en 1995, la découverte de Tokyo la fascina à ce point qu’elle décida de s’y installer, d’apprendre la langue et d’y repasser – non sans efforts ! – son diplôme d’architecte. Dès 2003, elle y ouvrait son propre cabinet.
Le centre de Tokyo est souvent décrit comme architecturalement assez chaotique. Or c’est justement la prolifération des couleurs dans cet environnement – immeubles, panneaux, enseignes – et les multiples superpositions de volumes dans la ville qui frappèrent Emmanuelle Moureaux et lui donnèrent l’idée d’utiliser librement les couleurs comme éléments architecturaux premiers, capables à elles seules de sculpter l’espace. Elle développe ainsi dans son travail un concept très particulier de shikiri, signifiant littéralement « diviser (créer) l’espace avec de la couleur ». Des couleurs flottantes, superposées en couches ou disposées sur des sticks, trouant les façades ou déposées sur les murs comme des objets autonomes.
Dans un pays où, plus qu’en Occident encore, les boutiques sont la plupart du temps monochromes, reproduisant une ou deux couleurs de marque, l’idée était originale et, développée par une Française, passa d’abord pour venir de l’étranger. Une première réalisation pour l’école de cuisine ABC, très populaire au Japon, fut remarquée. Attirant l’attention du Président de la Sugamo Shinkin Bank.
Celui-ci proposa un concept simple et très large. « Créer des bâtiments où les visiteurs ont envie de rester une seconde de plus, c’est à peu près tout ce qui m’a été demandé ! », dit Emmanuelle Moureaux. Créer une identité visuelle très forte, véhiculant une notion d’accueil, d’hospitalité et même de sollicitude (l’établissement insiste beaucoup sur les services qu’il offre à ses clients).
A l’extérieur, une grande originalité visuelle.
A l’intérieur, un environnement feutré, frappant par sa douceur.
Il y a plusieurs espaces où l’on peut librement s’asseoir. On y sert le thé. Tous les rapports d’attente en ligne et de face-à-face de guichet ont été gommés – cela reste rare au Japon. Mais dans une ville où le prix du m2 bat des records, les agences sont très aérées. A travers les baies, on peut y voir le ciel. Pour autant, si l’on compare avec les « extravagances » auxquelles on a parfois recours en Europe et ailleurs (agences Lounge, Labs, …), tout a été fait ici avec une grande économie de moyens.
Très vite, les nouvelles agences ont attiré un grand nombre de visiteurs. Et, depuis 2010, la clientèle de la Sugamo Shinkin Bank s’est largement renouvelée, témoignant qu’il est encore possible pour une banque d’appuyer sa politique de marque d’abord sur ses agences. Au total, par rapport à ce que les banques ont généralement réalisé en Europe et aux Etats-Unis (mais aussi au Japon), en matière d’évolution de leurs agences, les différences de démarche sont frappantes.
En premier lieu, l’aspect extérieur des agences a été très travaillé. Or cela reste rare en Occident, où l’on s’est surtout attacher à modifier l’intérieur des agences. Certes, des contraintes liées à l’implantation des agences, notamment dans les centres villes, l’expliquent sans doute en large partie. Mais il semble bien que les banques n’y aient pas particulièrement songé pour la plupart. Du coup, bien des transformations qu’elles ont engagées dans leurs agences sont passées complètement inaperçues aux yeux du public en général ! « Au Japon, souligne Emmanuelle Moureaux, les banques ont des agences froides, très strictes. Du dehors, on ne voit pas l’intérieur. Il faut du courage pour y entrer ! » C’est précisément cette barrière qui a ici été levée.
Second élément différenciant : le design intérieur prolonge l’architecture extérieure et commande l’aménagement des lieux, à travers un concept global qui permet une très grande diversité de réalisation pour chaque agence. Pour la majorité des banques, c’est en général le contraire qui s’impose (même s’il y a des contre-exemples). Il n’y a pas de démarche esthétique d’ensemble. On part de partis-pris fonctionnels (créer un espace « cosy », une agence « phygitale », …), que le design habille ensuite comme il peut, tout en limitant les coûts. On se retrouve ainsi souvent avec des agences qui, au sein d’un même réseau et même d’une enseigne à l’autre, affichent finalement une grande uniformité.
Enfin, il est frappant de constater que les agences d’Emmanuelle Moureaux n’ont quasiment pas d’enseigne. Leur façade est suffisamment originale pour servir d’enseigne. C’est encore une fois pratiquement le contraire chez nous, où seules leurs enseignes distinguent des agences bancaires dont les façades, souvent alignées pratiquement les unes à côté des autres dans les villes, se ressemblent toutes. Faut-il s’étonner dès lors que le public, comme toutes les études le montrent, s’il reconnait les différentes marques de banques, a largement tendance à croire que celles-ci proposent toutes la même chose ? Certes, il peut paraitre difficile d’appliquer ce principe à l’échelle de réseaux de plusieurs dizaines ou centaines d’agences mais peu de banques y ont songé ne serait-ce que pour leurs agences flagship. En regard, avec les agences de la Sugamo Shinkin Bank, beaucoup de visiteurs, non clients, ont été tentés de pousser la porte. Pour voir. Découvrir. Ce qui redonne aux agences un sens de relais urbains distinctifs, à l’heure où se pose la question de leur insertion dans les villes connectées à venir.
« En débarquant à Tokyo, ce fut un peu comme si je voyais les couleurs pour la première fois ! », confie Emmanuelle Moureaux, qui a conçu des agences comme on n’en avait jamais vues.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor