Connaissez-vous Slock.it ? Il parait difficile aujourd’hui de trouver une startup plus ambitieuse. Alors que l’immense majorité des jeunes pousses développent en effet un produit ou un processus innovant, susceptibles de provoquer l’apparition de nouveaux comportements, Slock.it invente tout un monde nouveau, entièrement régi par des blockchains. Mais, au bout de cette logique, Slock.it a rencontré des difficultés qui pourraient bien marquer la fin de l’utopie de la blockchain. Explications.
Slock.it est une startup allemande dont l’ambition est de créer l’infrastructure d’une future économie du partage. Slock.it veut bâtir l’économie de demain sur Ethereum, à travers des smart contracts. Ces termes vous échappent ? Qu’importe. L’idée de base est facile à saisir. Une blockchain permet de louer, de prêter ou de vendre tous les objets ou services susceptibles de l’être, c’est-à-dire la quasi-totalité d’entre eux, mais selon des modalités nouvelles et sans intermédiaires d’aucune sorte car ce seraient en quelques sortes les objets qui se loueraient eux-mêmes.
Selon l’exemple que prennent souvent les fondateurs de Slock.it, pour louer votre appartement, plus besoin de passer par Airbnb ou tout autre intermédiaire. Définissez un contrat de location sur une blockchain et connectez la porte de votre appartement à cette dernière. Plus besoin de vous occuper de rien. Votre porte ne s’ouvrira qu’à celui qui a souscrit votre contrat sur la blockchain. Ce contrat peut inclure des assurances, prévoir l’intervention d’une société de nettoyage à la fin de la location, etc. Vous n’avez pas besoin d’intervenir.
Bien entendu, tout ceci suppose pour fonctionner quelques appareillages nouveaux : pour se connecter à la blockchain, pour utiliser les moyens de paiement courants, pour connecter les objets et les verrouiller de manière adéquate. Slock.it y travaille avec différents partenaires comme Samsung, Canonical, Safeshare (une compagnie d’assurance spécialisée dans l’économie du partage) ou Ethcore (qui propose une interface pour se connecter à Ethereum). Slock.it développe un PC Ethereum grand public aussi bien qu’un cadenas intelligent (un « slock »). Slock.it invente un monde, nous l’avons dit.
Quelle est la promesse ? L’extension quasi infinie d’une économie nouvelle du partage, permettant de valoriser pour la location ou l’utilisation partagée tout ce qui est actuellement sous-utilisé et ceci de manière anonyme, sécurisée et très bon marché car, puisqu’il n’est plus besoin de passer par un tiers, les coûts de transaction sont imbattables. If it can be locked, it can be slocked ! Chacun devient consommateur et producteur de biens. Quelques exemples ont ainsi commencé à apparaître, comme par exemple LaZooz, un service israélien de covoiturage décentralisé, qui fonctionne sur une blockchain autogérée par la communauté de ses utilisateurs.
Selon cette logique, Uber ou Airbnb disparaitraient en tant qu’entreprises, pour devenir des services totalement automatisés, des plateformes décentralisées (personne ne les administrant en particulier). Se dessine alors le monde de Slock.it, où nous n’avons plus rapport à d’autres personnes mais directement aux objets que nous utilisons. Un monde où les échanges se passent de paroles, où il n’est plus nécessaire de se fier de quelque manière à autrui. Un monde trustless, qui correspond à l’un des grands fantasmes technologiques de notre époque. On le retrouve aussi bien dans l’e-santé (la consultation, le rapport de soin personnalisé, cède la place à une gestion automatisée des signaux corporels à travers des capteurs connectés) ou la finance collaborative (prêteurs et emprunteurs sont directement en contact sur des plateformes, sans se confronter néanmoins).
Seulement peut-il s’agir là d’autre chose que d’un fantasme ? Avons-nous affaire à plus qu’une utopie d’ingénieurs de plus, dont l’un des caractères les plus constants est de ne pas comprendre et de ne pas reconnaître l’utilité du commerce (tout se faisant, automatiquement, du producteur au consommateur) ? Si l’on reprend l’exemple que donne Slock.it de la location d’appartement, il a quelque chose d’atterrant (ne serait-ce que dans le constat que tant s’y laissent prendre !). Car, bien entendu, le problème n’est pas de louer son appartement mais de trouver un locataire fiable. Il n’est pas de louer un appartement mais de savoir ce qu’on loue. Dans les deux cas, il s’agit d’éliminer les risques au maximum – c’est pourquoi, malgré les fantasmes de départ, une plateforme de crowdlending qui se contenterait de mettre en contact prêteurs et emprunteurs n’aurait guère d’intérêt car elle serait beaucoup trop risquée. Pour parvenir à intéresser plus qu’une poignée d’investisseurs, il a fallu que les plateformes exercent une sélection des dossiers. Pour qu’une transaction se fasse – il n’est visiblement pas inutile de rappeler une telle évidence ! – la rencontre entre l’offre et la demande doit être aménagée dans le cadre d’une confiance minimale. C’est une fonction incontournable et cela se nomme le commerce au sens large.
A cet égard, plutôt que le tout automatique que promet la blockchain mais qui n’apporte proprement rien, il parait d’ailleurs plus intéressant de constater que les objets connectés pourraient s’accompagner d’une généralisation des échanges vocaux, car c’est le partage d’informations qui fonde la valeur des échanges, bien plus que le processus technologique.
Quoi qu’il en soit, croire qu’un système puisse s’affranchir des coûts et de l’inévitable centralisation liés à la fonction de mise en marché sur une plateforme de transactions relève bien d’un fantasme. Comme celui – tellement caractéristique lui-aussi des utopies d’ingénieurs – d’une sécurité absolue.
Pour financer ses projets d’Universal Sharing Network, Slock.it a lancé au début de l’année une DAO. Pour le dire simplement, il s’agit en l’occurrence d’un fonds d’investissement sur blockchain. Un groupement de personnes qui prennent ensemble des décisions d’investissement, chacun votant à hauteur de sa contribution. En quelques semaines, profitant de la bulle dont bénéficie actuellement tout ce qui concerne les blockchains, les fonds ont afflué. Fin mai, l’équivalent de 150 millions $ avait été levé. Mais la collecte a fait l’objet d’un détournement majeur : l’équivalent de 50 millions $. Un hacker a profité d’une faille de programmation et de sécurité, malgré la surveillance des curateurs.
Il a donc fallu modifier la blockchain, la « forker », ce qui n’était nullement prévu et ce qui n’a pas manqué de faire débat au sein de la communauté Ethereum, puisque cela revient à introduire une fonction de gestion centrale dans la blockchain. Une véritable hérésie pour les adeptes du tout automatique décentralisé, qui sont allés jusqu’à nier qu’il y ait eu vraiment détournement ; le hacker ayant simplement selon eux trouvé un moyen astucieux de se procurer des ressources.
Finalement, il a été décidé d’appliquer une solution de hard fork à la Blockchain, qui a été restaurée le 20 juillet. Une fonction de gardien et de gendarme ayant ainsi été reconnue, l’utopie d’une blockchain au fonctionnement intégralement automatisé, d’une économie parallèle autogérée, semble bien être morte ce jour là car comment imaginer que l’on puisse désormais tout à fait se passer d’une telle fonction ?
Cela dut-il nous valoir le mépris injurieux des sectateurs de la blockchain, force est de reconnaître que cela ouvre la voie à une privatisation de cette dernière, à rebours de tous les principes de départ. Ne reste donc qu’une technologie intéressante – sous réserve d’en valider toutes les promesses.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor
PS : Refusant le hard fork du 20 juillet dernier, certains utilisateurs d’Ethereum ont décidé de maintenir la chaîne originale, annonce le site Bitcoin.fr