Il est actuellement intéressant de suivre les commentaires qui accompagnent la publication du Baromètre Ifop/Windor Nixdorf sur les Français et la banque. Beaucoup retiennent de ce sondage que 68% des personnes interrogées estiment que le système sur lequel les agences bancaires fonctionnent aujourd’hui ne pourra pas perdurer (seulement 26% prédisent néanmoins que le nombre d’agences va diminuer de manière importante). On en tire que, décidément, les agences ne répondent plus aux besoins des clients et la conclusion s’impose alors : il devient urgent de passer à des réseaux d’agences beaucoup plus automatisées, de ménager l’accès aux conseillers à travers des dispositifs vidéo et de fermer un certain nombre de sites. Désormais, beaucoup d’établissements en sont convaincus – aux USA, certaines grandes banques ont commencé à facturer à titre dissuasif le recours à un employé de guichet.
Certes, on note bien que les Français sont attachés à leur agence : depuis 2011, le nombre d’entre eux ayant une bonne image de leur agence est passé de 84% à 88% ! Mais, pense-t-on, c’est là surtout un paradoxe car, en même temps, les Français sont de moins en moins nombreux à se rendre régulièrement dans les agences. Le paradoxe de l’agence bancaire est d’avoir des clients fidèles mais déserteurs, souligne le Baromètre Ifop/Nixdorf.
A notre avis, il n’y a là aucun paradoxe et les résultats de l’enquête nous semblent devoir être interprétés de manière sensiblement différente.
Qu’indique le Baromètre en effet ? D’abord ce constat décisif que la banque en ligne ne marche pas ! Le nombre de Français ayant leur compte principal dans une banque en ligne atteint 2%… Ensuite, de quoi parle-t-on précisément en matière de désertion des agences ? 80% des Français s’y rendent toujours mais de moins en moins fréquemment. Seulement 7% d’entre eux s’y rendent au moins une fois par semaine, souligne en ce sens l’enquête. Mais pour y faire quoi au fait ?! Sauf à ne disposer ni d’une carte bancaire, ni d’un accès à internet (ce qui peut effectivement concerner certaines personnes) qu’a-t-on désormais à faire régulièrement dans une agence ?
Est-ce à dire que l’on n’a plus besoin d’agences ? Pas du tout ! La banque demeure un commerce de proximité, au double sens d’un accès commode et d’une relation de long terme. Toutes les études soulignent à cet égard l’importance que les clients accordent à la compétence et à la confiance que leur inspirent leurs chargés de clientèle. Notre banquier est désormais comme un médecin spécialiste : les visites qu’on lui rend n’ont normalement pas de raison d’être fréquentes mais on apprécie de bien le connaitre et qu’il soit là, à portée. On n’attend absolument pas qu’il soit remplacé par une machine ou un écran vidéo ! Et cela n’empêche pas les patients d’aller par ailleurs fureter sur le Net…
Ceci posé, le vrai paradoxe tient plutôt à ce que le marketing bancaire soit calé sur celui de la grande distribution ! Les banques, en effet, développent un marketing orienté produits avant tout, avec pour fers de lance, l’ouverture de comptes, le crédit immobilier, le rachat de créances, les dépôts – des produits tournés vers l’acquisition de clientèle, dans un pays où le marché bancaire, pourtant, est saturé et alors que la majorité des comptes de particuliers n’est pas rentable.
Selon cette logique produits, il fallait aussi bien favoriser l’ouverture de comptes sur internet et proposer en ligne la souscription de crédits immobiliers. Tout de même, on développe aujourd’hui des applications bancaires sur mobile qui nous supposent un besoin compulsif, instantané d’accéder à nos comptes. Cependant, 36% des clients suivent leur compte à peine une fois par mois. Pourtant, aux USA, des études montrent que les moins de 25 ans préfèrent assez largement ouvrir un compte en agence plutôt qu’en ligne. Quant aux crédits immobiliers sur internet, ils représentent 1% des ventes. Malgré cela, compte tenu des horaires pratiqués, la plupart des actifs ne peuvent se rendre dans les agences qu’à des moments où ils sont à peu près sûrs d’y faire la queue !
Un réseau d’agences représente 60% des coûts d’une banque de détail mais y investir pour aménager ces espaces – qui doivent en effet clairement évoluer – parait néanmoins aujourd’hui plus rentable que d’y remplacer les hommes par des machines. C’est ce qu’indiquent la plupart des études, en tous cas, lesquelles, comme le Baromètre Ifop/Nixdorf, montrent finalement surtout que, s’ils ont bien compris que le format actuel des agences bancaires a vécu, les clients des banques préfèrent nettement voir leurs agences sauvées plutôt que fermées.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor