Depuis le début de l’année, des discours de plus en plus sceptiques commencent à se multiplier sur les néo-banques. Alors que l’on compte désormais 57 d’entre elles rien qu’au Royaume-Uni, n’y a-t-il rien là qui cloche ?, demande par exemple Chris Skinner ; tentant de discerner parmi tous ces nouveaux entrants – dont un certain nombre parviennent à réaliser des levées de fonds tout à fait considérables – la poignée de ceux qui peuvent espérer survivre.
Nous-mêmes, dans le dossier que nous leur consacrons, présentons une cinquantaine de néo-banques. Rien qu’à une échelle seulement européenne, nous aurions facilement pu doubler ce chiffre. Mais quel intérêt ? La plupart des néo-banques proposent quasiment toutes la même chose ! De sorte qu’il ne suffit plus de s’interroger sur l’avenir des néo-banques. Il ne faut pas hésiter à s’interroger sur la pertinence même de leur business model.
Qui sont les néo-banques ? Des établissements, non forcément dotés d’une licence bancaire, qui s’attachent à renouveler l’offre des banques classiques et les modes de relations que l’on entretient avec elles. Cela recouvre une population bigarrée. De jeunes pousses voulant réinventer la banque. Des établissements de paiement proposant de vivre sans banque. Et des surgeons de banques classiques, 100% mobiles. Car les néo-banques, loin d’opposer les anciens et les modernes, voient désormais les établissements les plus classiques concurrencer les startups.
Différentes stratégies distinguent les néo-banques. Derniers apparus, ainsi, les agrégateurs de services financiers proposent, à travers une appli innovante et personnalisée, une interface de premier contact pour gérer ses affaires financières et bancaires, à partir de laquelle ils comptent bâtir une plateforme de produits et de services propres ou partenaires. Les comptes courants hors banque, eux, sont proposés par des établissements de paiement selon une formule minimaliste : un compte avec IBAN sans possibilité de découvert + une carte de paiement + une appli de gestion en ligne. Souvent dotées d’une licence ou directement créées par des banques classiques, les néo-banques généralistes proposent une offre (un peu) plus étoffée. Elles visent les particuliers ou les entreprises et, de plus en plus, les deux en même temps. Certaines ciblent également des clientèles particulières (étudiants, freelancers, familles et enfants, migrants, …).
Spontanément, les néo-banques sont vues comme forcément innovantes. Cependant, ce n’est plus tellement le cas aujourd’hui. Les néo-banques proposent de plus en plus les mêmes choses et, quand elles ne sont pas rachetées par des banques, semblent engagées dans une course à la taille, comme en témoignent les impressionnants montants d’investissement que certaines, à l’instar de SoFi, sont parvenues à lever. A quelques exceptions près – comme N26, ayant affiché d’emblée une ambition européenne – les néo-banques profitent de l’étanchéité des marchés bancaires nationaux.
L’offre tend ainsi à se concentrer sur quelques leaders dans chaque pays. Pour cela, elle se limite à l’essentiel, tente de jouer sur les économies d’échelle et abandonne volontiers ses aspects les plus innovants. Or cela est la conséquence directe d’un modèle économique mal conçu dès le départ et reposant sur la gratuité de nombreuses prestations (virements, paiements internationaux, …) et même, dans certains cas, de la cotisation annuelle. N26 peut, dans ces conditions, revendiquer 300 000 clients, dont 30 000 en France. Toutefois, cela paraît peu dès lors que tout est gratuit ! Et l’on peut également se demander quel est l’exact intérêt d’accumuler des clients qui ne rapportent pratiquement rien !?
Au départ, beaucoup de néo-banques, comme Simple, ont fait le pari que les interchanges, perçus sur les paiements par carte de leurs clients, ainsi que le float, réalisé sur le replacement des dépôts, assureraient une rentabilité suffisante pour développer des banques digitales, aux coûts de fonctionnement très réduits. Toutefois, les taux d’intérêt ont très fortement baissé, les interchanges ont été largement réduits et, passé le cap des 100 000 premiers clients, les coûts d’acquisition deviennent prohibitifs.
Les nouvelles banques sont ainsi obligées de se lancer dans une course à la taille pour lever des fonds ou se faire racheter le plus vite possible. Mais les fonds levés servent d’abord à sponsoriser les clients, qu’on pense pouvoir attirer par la gratuité des prestations et le modèle montre vite ses limites – pour les retraits en euros et en devises, ainsi, les néo-banques ne peuvent guère proposer la gratuité. Comme le signale cet article, N26 a même dû clôturer les comptes de ses clients réalisant de trop nombreux retraits dans les distributeurs.
Le modèle a ses limites et l’on peut se demander s’il est tout simplement tenable ! Le principe de gratuité obère toute rentabilité forte, laquelle serait pourtant nécessaire pour étoffer les services et l’offre. De sorte que les clients eux-mêmes ne se bousculent pas (malgré tous les effets d’annonce dans la presse). Sur cinq continents, cinquante néo-banques quasi gratuites n’ont pas conquis cinq millions de clients et, parmi les plus anciennes, celles qui paraissent avoir atteint l’équilibre sont plus que rares ; tandis que certaines ont été des échecs patents, comme Zuno, lancée en République tchèque et en Slovaquie en 2010 par Raiffeisen Bank International. Faudra-t-il compter nombre de néo-banques parmi les aberrations industrielles que le low cost a pu générer dans d’autres domaines ? Avez-vous jamais entendu parler ainsi de la Peel P50 ?
Plus petite voiture de série jamais produite, la Peel P50 mesurait à peine plus d’un mètre de large ! Lancée en 1963 en Angleterre et prévue pour révolutionner au moins le marché automobile, cette véritable voiture-gag se vendit à moins de 50 exemplaires… que les collectionneurs s’arrachent aujourd’hui !
Au départ, avec Moven ou Simple, les néo-banques comptaient avant tout sur la transparence et la commodité pour attirer les clients. Elles voulaient réinventer la banque autour des outils de Personal Finance Management. Leur offre était cependant bien trop limitée pour satisfaire beaucoup de clients. Surtout, elle ne convenait guère aux usages. Au départ, Moven ne prévoyait même pas de proposer des cartes bancaires. Depuis, nombre de néo-banques ont dû réintroduire les chèques, les dépôts de cash… et même les agences (IAM Bank).
Il fallait donc élargir l’offre et est ainsi apparue l’idée de capter la relation client, toujours sur la base d’un outil de gestion personnalisée, et de développer des plateformes d’offres assorties de conseils. Mais où est la très forte expertise que suppose un tel modèle ? On se fie à l’IA et au Big Data pour l’apporter…
Toutes font le pari que les affaires bancaires peuvent être simples. Du coup, faire de la banque doit être facile et immédiat – le temps réel est l’un des principaux arguments des néo-banques. En quoi les néo-banques banalisent radicalement leur offre. Mais pour viser quels clients exactement ? Un client modèle qui ne fait pas de chèques et n’utilise pas de cash. Un client qui, parfaitement à l’aise avec son smartphone, n’a besoin de rencontrer personne et qui se passe de toute relation humaine suivie pour ses affaires financières. Un client qui n’a pratiquement pas besoin de crédit et qui, pour son épargne et ses placements, se satisfera d’un conseil automatisé. Ce client existe-t-il ? Sans doute correspond-il assez à certains profils mais pas tellement à celui de la plupart des jeunes (seulement 17% des clients de N26 ont moins de 25 ans, contre 42% entre 25 et 34 ans et 22% entre 35 et 44 ans). Toutefois, outre que cela représente un segment étroit, cela correspond également à la clientèle la moins rentable et la plus infidèle qui soit, puisque focalisée sur le fait de dépenser le moins possible pour accéder à des services bancaires (et il est frappant de constater que, pour la plupart, les néo-banques ne proposent d’ailleurs aucune formule de fidélisation).
Finalement, pourquoi devenir client d’une néo-banque ? Comme le marque cette enquête, ceux qui ont franchi le pas répondent avoir… juste voulu voir ! Voilà pour l’attrait. On a voulu faire simple, tout en poursuivant un objectif de personnalisation qui supposait en fait d’introduire davantage de choix, d’innovations et de comportements nouveaux de la part des clients. Fidor paraissait engagée dans cette voie, qu’Atom Bank explore aujourd’hui. Tandis que Civilised Bank, IAM ou OakNorth Bank remettent le relationnel au premier plan. Et tandis qu’avec Max, le Crédit Mutuel Arkéa semble tenté de suivre une orientation, dont nous signalions l’émergence en début d’année, vers une redéfinition et un rehaussement assez complet des services bancaires. Tout ainsi n’est pas joué…
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