Sur ce site, nous aimons les innovations radicales. Celles qui, aussi fantasques puissent-elles paraître, remettent en cause les principes financiers les plus évidents et réinventent le monde. Ayant ainsi notamment présenté SolarCoin et le Social Coin, Slock.it ou encore Secco, nous ne pouvions manquer de consacrer quelques lignes au Liberland, dernier né des pays du monde et ce qu’on pourrait nommer un « crypto-Etat ».
Le Liberland a été créé le 13 avril 2015 par Vit Jedlicka, citoyen tchèque (né en 1983), sur une lande de 7 km² faisant l’objet d’un différend frontalier sur la frontière tracée sur la rive ouest du Danube entre la Croatie et la Serbie.
Cette étroite bande de terre dite de Gornja Siga, sans aucun habitant, n’appartient formellement à aucun des deux pays. Vit Jedlicka a donc pu considérer qu’il s’agissait d’une terre sans maître, une terra nullius, librement appropriable par quiconque. Il y a ainsi fondé son propre nouvel Etat et y a organisé des élections qui l’ont nommé, lui le seul votant, Président.
A ce stade, le Liberland n’a été reconnu par aucun autre Etat et a seulement reçu un premier courrier diplomatique envoyé par Jeremiah Heaton, un Américain qui s’est emparé d’une autre terra nullius, le Bir Tawil (1 200 kilomètres carrés entre le Soudan et l’Égypte) rebaptisé Royaume du Nord du Soudan (la fille de Jeremiah Heaton, en effet, rêvait d’être princesse mais, pour cela, il fallait que son père soit roi et c’est pourquoi celui-ci a réalisé cette prise de possession !).
Au départ, la Croatie a très mal pris l’initiative et a interdit à quiconque de s’approcher de ce territoire. Depuis, les choses se sont un peu arrangées et Vit Jedlicka parcourt le monde pour tenter d’obtenir une reconnaissance officielle de la part d’autres Etats. A cet effet, le Liberland dispose déjà d’une représentation dans 80 pays. Il a ainsi une ambassade en France… sur Facebook. Plus de 5 000 Français ont déjà déposé leur candidature pour devenir citoyens du Liberland (ce qui peut être fait via son site), comme 435 000 personnes dans le monde, de tous horizons et de tous pays.
La devise officielle du Liberland est « Vivre et laisser vivre », et cette « République libre » se fixe comme objectif de créer une société où les citoyens peuvent prospérer sans lois, règlements et impôts inefficaces et contraignants. Le Liberland entend être le pays le plus libre du monde. L’impôt y sera volontaire, les frontières totalement ouvertes, les stupéfiants et les armes autorisés. La libre entreprise y triomphera. Son gouvernement sera composé de dix à vingt membres élus tous les cinq ans, pour des mandats de dix ans maximum.
Et le Liberland sera entièrement géré sur une blockchain, sur laquelle seront inscrits tant les lois que les contrats entre les citoyens. Toutes les monnaies seront acceptées au Liberland, lequel émettra également – sur la même blockchain – sa propre crypto-devise, le Merit. Il sera émis et distribué en contrepartie des impôts librement acquittés par les citoyens. Lesquels verront le poids de leurs votes croitre en proportion du nombre de Merits possédés (la population pourra néanmoins utiliser un droit de veto à travers un vote majoritaire, afin de bloquer des décisions trop unilatérales que des citoyens fortunés pourraient vouloir imposer). En attendant, le Liberland est le premier pays du monde à stocker des bitcoins comme réserve de valeur officielle.
L’ambition est de faire du Liberland une place off-shore, une sorte de Hong Kong des Balkans et sous ce jour, le projet n’est peut-être pas aussi loufoque qu’il en a l’air. Ce qui est frappant en tous cas est son caractère crypto-native. Son esprit libertarien, marqué par une grande défiance vis-à-vis de l’Etat, est en effet tout à fait conforme à celui des Cypherpunks qui furent à l’origine du bitcoin, comme Timothy May avec son Manifeste crypto-anarchiste. Et le Liberland évoque aussi bien les projets de rachat de territoires à des gouvernements pour y créer des utopies libertaires, comme celui de Roger Ver avec sa FreeSociety.
Au cœur du Liberland, la blockchain. Une gigantesque mémoire enregistrant tout et accessible à tous sous la forme non pas d’un grand ordinateur central mais sous celle d’un registre distribué.
Cette dernière perspective est déjà originale mais c’est vis-à-vis de la monnaie que le projet parait le plus innovant. Le Liberland n’aura pas de monnaie officielle, en effet. Toutes les monnaies y seront acceptées et utilisées selon le simple jeu de l’offre et de la demande. En regard, le Merit ne répond pas à un objectif de souveraineté monétaire mais à celui d’une création de valeur pour faire des impôts autant d’investissements pour ceux qui choisissent de les acquitter (et pour rendre ainsi l’impôt volontaire). L’Etat, en quelque sorte, vend sa monnaie aux citoyens et reconnait ainsi la contribution de chacun tant à son fonctionnement courant qu’à sa création. Le Merit, en ceci, n’est plus seulement une monnaie. C’est d’abord un token, utilisable à d’autres emplois, comme le vote ou comme titre de participation à des initiatives collectives. Avec la blockchain, la monnaie est à même de changer complètement de nature.
Voici donc un Etat peu commun, au fonctionnement totalement transparent, aux monnaies plurielles et valorisant la contribution de chacun. Et, au total, le Liberland fournit une illustration assez extrême des innovations que la blockchain pourrait engendrer. Car il ne s’agit que de radicaliser certains principes de cette dernière. En ce sens, le projet n’est pas vraiment utopique, si sa réalisation, en revanche, parait bien entendu soumise à de nombreux aléas.
Des architectes ont d’ores et déjà imaginé à quoi pourrait ressembler le nouvel Etat :
En attendant, néanmoins, le Liberland ressemble à ça :
Et, quitte à innover, il faudrait encore se demander si un tel projet a nécessairement besoin d’une assise territoriale propre.