En application de la Directive européenne sur les services de paiement (DSP2), les commerces vont désormais pouvoir proposer à leurs clients de leur délivrer de l’argent liquide lors d’achats par cartes bancaires (et uniquement elles, les chèques ne sont pas concernés). Cette mesure, dite de cashback, est présentée comme un moyen de lutter contre la « désertification » (tout à fait relative à ce stade – voir cet article) de certaines zones rurales en matière d’agences et d’automates bancaires. Or on ne peut manquer de s’étonner d’une telle mesure à l’heure où certains estiment que nous devrions nous diriger vers une société sans cash. Mais en fait cette mesure n’est pas forcément contradictoire avec un tel objectif.
Pour certains commerces, la solution est assez avantageuse : elle augmente la fréquentation, peut être source d’une facturation supplémentaire et elle diminue l’encaisse liquide en fin de journée qui est laborieuse et onéreuse à gérer (à condition que les retraits soient plafonnés, ce qui devrait être le cas). Certaines enseignes, ainsi, ont d’ores et déjà marqué leur intérêt.
Pour les clients, l’intérêt est tout aussi patent : facilité de ne pas avoir à se rendre au distributeur, commodité là où il n’y a pas de distributeur proche ou pas de distributeur de sa banque (pénalités). Aubaine enfin pour tous ceux qui, en dépassement de leur autorisation de découvert (24% des Français le sont au moins une fois par mois et 20% au moins une fois par trimestre), peuvent toujours utiliser leur carte mais non les distributeurs.
Quant aux banques, il est douteux que cela leur fasse vraiment ombrage – avec ses Points verts, après tout, le Crédit Agricole utilise les commerces de proximité dans les zones rurales depuis vingt ans. Les banques, aujourd’hui, restreignent à la fois leur parc d’automates, de moins en moins rentable, et leur gestion du cash, quasiment déficitaire.
De plus, si l’on regarde ce qui se passe dans des pays voisins, où la solution est depuis longtemps développée, l’activité devrait rester assez marginale. En Allemagne, les commerces ne réalisent que de 6 à 7% des retraits d’argent, alors que les paiements sont encore réglés cash à 75% outre-Rhin, contre 45% en France (avec respectivement 80% et 60% de paiements en liquide dans les commerces physiques). Un Allemand retire 7 027 € en liquide chaque année, contre 1 318 € pour un Français.
Sous plusieurs aspects, ainsi, la mesure ne peut manquer d’évoquer l’autorisation donnée à certains commerces et institutions (débits de boisson et restaurants, stations-services, établissements militaires et pénitentiaires) de vendre des cigarettes – de les revendre plutôt, puisqu’ils doivent impérativement s’alimenter au bureau de tabac le plus proche (par décret, cette proximité doit être établie au mètre près entre les deux entrées principales du débitant de tabac et du revendeur !).
A ceci près que cette disposition s’accompagne souvent de reventes « au noir » (en liquide justement), ce qui ne devrait pas intervenir, on peut l’espérer, pour les cashbacks, les deux situations sont assez comparables dans la mesure où les revendeurs de tabac ne font pas une réelle concurrence aux débitants, auprès desquels ils s’approvisionnent obligatoirement et qu’ils suppléent plutôt lorsqu’ils sont fermés ou éloignés.
Difficile également de ne pas relever qu’alors qu’elles sont engagées dans une lutte contre le tabagisme, les autorités doivent tolérer ce service face à une réalité : pas mal de gens continuent à fumer ! La France est même l’un des pays occidentaux où l’on fume le plus, avec un tiers de la population concernée
Faut-il dire qu’une semblable « tolérance » vaut désormais pour l’argent liquide ? C’est finalement assez l’impression que donne cette autorisation des cashbacks. On peut vouloir faire disparaître l’argent liquide ou en tous cas en limiter au maximum l’emploi – de toute façon, le développement des moyens digitaux ne peut qu’en restreindre l’usage – sa suppression soulèverait néanmoins à ce stade encore nombre d’obstacles pratiques.
De plus – et surtout – beaucoup de gens y restent attachés. Que leurs raisons soient justifiées et licites ou non, la question est de savoir si sa suppression ne devrait donc pas passer par son interdiction. Comme le tabac en somme, dont la lutte anti-tabagique n’a pas réduit à rien la consommation, même si des succès ont été enregistrés, notamment auprès des plus jeunes (en 2000, 15 millions de Français déclaraient fumer. Ils étaient 16 millions en 2017).
Disons qu’à défaut d’une telle interdiction de l’argent liquide – qui ne serait ni sans risques de contournement, ni sans difficultés politiques – et alors même que de nouvelles mesures semblent en préparation, y compris au niveau européen, pour en limiter l’usage, on peut avoir l’impression qu’avec les cashbacks désormais autorisés, tout se passe comme si le gouvernement venait de marquer que l’argent liquide demeure « toléré ». Jusqu’à quand ? C’est le genre même de situation de compromis qui peut durer assez longtemps…
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