Présentant de manière très complète le test – largement commenté dans la presse – par la Caisse d’Epargne Bretagne-Pays de Loire de « conseillers indépendants locaux » non-salariés, le site MoneyVox se demande s’il s’agit là d’une première étape vers une ubérisation du conseil bancaire. Dès lors, allons plus loin et demandons-nous en quoi consisterait une véritable ubérisation de la banque. Cela permet de poser quelques questions clés.
La Caisse d’Epargne envisage donc de déployer dans 3 agences test des « conseillers indépendants locaux » (CIL) mandatés par elle pour distribuer ses produits, répondre aux projets de ses clients actuels et en démarcher de nouveaux. Il pourrait s’agir là d’une réponse à la désertification bancaire, dès lors que sur de plus en plus de territoires la présence d’agences dotées d’un personnel salarié ne se justifie plus ou se justifiera de moins en moins.
On pourra trouver dans l’article de MoneyVox plus de détails sur la rémunération envisagée de ces CIL et sur leurs conditions d’exercice. Nous retiendrons surtout ici les réactions – très négatives – des syndicats. Des réactions reposant sur la crainte que les CIL, payés à la commission, n’exercent qu’une fausse fonction de conseil et orientent abusivement les clients vers les produits les plus rémunérateurs. Des craintes portent également sur l’emploi. Les actuels conseillers concernés par les fermetures d’agences en zones rurales seront-ils à terme encouragés à se convertir en CIL, pour se retrouver dans la même situation précaire de travailleurs indépendants que les chauffeurs Uber ? Enfin, des difficultés apparaissent concernant l’accès aux données clients et le respect du secret bancaire.
Essayons toutefois de voir les choses autrement. La formule que va tester la Caisse d’épargne est comme un premier pas vers un schéma de franchise, lequel n’est pas inconnu dans le monde financier, en France (Axa) ou à l’étranger (Bank of Queensland est sans doute l’exemple international le plus avancé pour la banque de détail).
Plusieurs grands établissements ont effectivement considéré cette formule ces dernières années. Pour savoir si elle pourrait leur permettre de maintenir une activité commerciale directe dans des zones sans agences mais aussi pour ouvrir de nouveaux points de vente de format réduit et non forcément permanents.
En regard, le modèle Uber est différent. Il consiste à mettre en relation des travailleurs indépendants et des clients à travers une plateforme digitale. Cela aurait-il le moindre sens dans la banque ? Dans le cadre des réflexions lancée sur les franchises, la question a parfois été posée. Et la réponse est positive !
C’est qu’un constat parait de plus en plus incontournable : le niveau de conseil que délivrent les banques est aujourd’hui menacé. Fondé sur le contact direct, personnalisé, le conseil bancaire recouvre plusieurs dimensions : l’écoute, la prise en compte des cas particuliers à travers une relation durable, permettant tout à la fois une certaine confidentialité et quelques faveurs et tolérances au besoin. Reconstituer une telle relation à travers des canaux digitaux, à distance, est très difficile. Ou bien cela demandera des investissements considérables. Pourtant, les réseaux d’agences ne peuvent que se réduire. Et il y a pire : les difficultés qu’affrontent désormais les banques à mobiliser et même à recruter de jeunes chargés de comptes. Au total, les enquêtes en témoignent, de plus en plus de clients sont mécontents du conseil qu’ils reçoivent de leur banque : sentiment de dégradation depuis plusieurs années, impression d’en savoir plus que les conseillers, écoute jugée insuffisante de la part de ces derniers pour prendre en compte les cas particuliers. Enfin, la rotation des conseillers en agences est très généralement jugée beaucoup trop rapide pour qu’une vraie relation soit créée.
Or c’est précisément face à ces constats que la formule de franchises a pu paraître intéressante pour certains établissements car cela offrait la possibilité de retenir, sous de nouvelles conditions, plus responsabilisantes et plus rémunératrices, les chargés de clientèle les plus expérimentés.
C’est exactement, en effet, ce qui a poussé Bank of Queensland à franchiser une large partie (166 de ses 252 agences) de son réseau : garder ainsi à son service ses meilleurs directeurs d’agence retraités ou proches de la retraite et recruter ceux d’autres établissements. Les mettre tous en situation d’avoir impérativement à transmettre leur savoir faire à leurs collaborateurs. La franchise a ainsi été vue comme le moyen de renforcer ou de maintenir le niveau de service.
Mais il y a plus car si le modèle du conseil bancaire est celui d’une relation personnalisée et durable, cela signifie deux choses. La première est qu’il faut reconnaître que les chargés de compte ont leurs propres fonds de commerce. Ils sont capables de fidéliser leurs clients. C’est une dimension que les banques ne mettent pas en valeur mais qui serait pleinement reconnue dans le cadre d’une franchise.
Deuxième élément : si l’on veut vraiment personnaliser la relation bancaire, il faudra bien en venir à laisser aux clients la possibilité de choisir leurs conseillers. Une vraie petite révolution ! Mais des établissements innovants comme Umpqua Bank ont commencé à explorer cette orientation.
Bref, envisager que les chargés de compte acquièrent une certaine autonomie commerciale, n’est pas totalement aberrant et nous nous rapprochons ainsi du modèle d’Uber. Mais non pour précariser des conseillers devenus encombrants, au contraire : pour marquer le besoin crucial que l’on a d’eux, dans un cadre renouvelé et bien défini contractuellement. De sorte que le test que va mener la Caisse d’épargne pourrait bien, effectivement, être une première étape vers une ubérisation des services bancaires. Mais menée par les banques elles-mêmes.
Maintenant, la question serait de savoir si l’équivalent d’un Uber – un tout nouvel acteur – ne pourrait pas, sur les mêmes bases, dynamiter le marché bancaire. La réponse est sans doute positive…
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