Vous connaissez peut-être ce morceau de Gil Scott-Heron The Revolution will not be televised. Les grands changements sont souvent, d’abord, inaperçus. Et ce serait le cas sans doute si les clients délaissaient en masse les banques traditionnelles pour se tourner vers de nouveaux acteurs. Ils ne le feraient pas d’un seul coup et on ne le remarquerait pas tout de suite. On n’en parlerait pas à la télé. Et si c’était déjà le cas ?
Pour le moment – et malgré les attentes de beaucoup d’observateurs – on n’a aucunement vu les clients des banques traditionnelles quitter massivement ces dernières en transférant leur compte principal dans une banque en ligne, une néo-banque ou autre. Les mouvements de ce type restent marginaux et n’ont pas véritablement tendance – même si la crise a pu le laisser croire – à s’accélérer.
Pourtant, une enquête du cabinet Bain & Company, menée auprès de 56 000 personnes dans quinze pays souligne le caractère massif d’une « défection cachée » : jusqu’à la moitié des nouveaux produits financiers achetés sont désormais acquis auprès d’un établissement autre que celui qui tient le compte principal. Le Royaume-Uni présente le pourcentage le plus élevé (51% des achats de produits nouveaux). Il est suivi par Singapour et l’Allemagne (40%). Les Etats-Unis (38%), le Canada et la France viennent tout de suite après. Dans chacun des pays considérés (sauf apparemment en Italie), le pourcentage est au-dessus de 25% des nouveaux achats.
Selon l’enquête, ce phénomène intervient essentiellement à travers les canaux digitaux et les produits nouveaux ainsi acquis sont, aux Etats-Unis par exemple, les crédits (54% sont souscrits chez un autre établissement que celui tenant le compte principal) et les cartes de crédit (50%), tandis que les dépôts sont nettement moins concernés (22%).
En somme, une véritable redistribution bancaire pourrait bien être engagée, par glissement progressif de certains établissements vers d’autres. Ceci pouvant d’ailleurs prendre des années. Est-ce le cas ? On ne dispose malheureusement pas assez d’éléments pour le savoir. L’enquête révèle un phénomène qui ne peut être ignoré. Toutefois, il faudrait pouvoir rapporter ces chiffres à ceux de la multi-bancarisation, laquelle n’a rien de nouveau et peut, selon les pays, atteindre un niveau important.
Il faudrait encore savoir quels établissements sont les plus bénéficiaires de ces achats de produits nouveaux. Aux Etats-Unis par exemple, une néo-banque comme Chime est clairement en train de s’imposer. Mais les principales banques traditionnelles raflent également beaucoup d’affaires aux établissements moyens. Enfin, les raisons invoquées par les personnes ayant répondu à l’enquête sont trop vagues (« de meilleurs produits numériques », plus « abordables », …).
D’un côté l’opportunisme semble largement l’emporter sur la volonté ferme de changer de banque. Car si beaucoup de clients sont allés voir ailleurs parce qu’on leur faisait des propositions, beaucoup auraient acheté la même chose auprès de leur banque principale, si elle le leur avait proposé.
D’un autre côté, l’enquête souligne l’importance de l’image de marque des établissements dans la décision de leur acheter des produits ou d’y ouvrir un compte. Surtout chez les plus jeunes. Or, opportunisme et image de marque sont les deux éléments qui guident les comportements en bourse de ce qu’on nomme les Robinhood, qui défrayent actuellement la chronique. Deux éléments directement alimentés par de nouveaux relais d’influence, notamment sur les réseaux sociaux, qui n’avaient pas du tout été identifiés à la mesure des impacts qu’ils sont susceptibles d’avoir.
Ainsi, pour les banques, une question cruciale aujourd’hui est de savoir quels sont et seront les relais d’influence que leurs clients sont susceptibles de suivre. Car, à l’instar de ce qui se passe actuellement en bourse, ne pourrait-on imaginer des phénomènes de défection ou d’adhésion assez massifs, déstablisants et dont, pour le coup, on parlerait à la télé ?
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