Il est acquis qu’avec la banque en ligne, le mobile banking et les nouveaux modèles d’agences, la banque de détail vit aujourd’hui un tournant. Dans ce contexte, il est intéressant de regarder d’autres secteurs connaissant des évolutions comparables et il est frappant, en particulier, de considérer la librairie.
La librairie et la banque de détail ont d’abord ceci de commun que cela fait maintenant quinze ans qu’on y annonce que le commerce en ligne va tout emporter. Dans les deux cas, cependant, les débuts de la vente sur internet furent laborieux. Le décollage ne vint véritablement qu’en 2005 pour la librairie, en 2006 pour la banque.
Amazon a été créé en 1995. Presque vingt ans plus tard, le commerce en ligne représente 17% des ventes de la librairie en France. Son développement est certain (5,4% en 2005 ; 13% en 2010) mais on est loin d’avoir connu le raz-de-marée attendu (et toujours annoncé de nos jours). Dans la banque, la situation est comparable. Certes, l’usage d’internet s’est largement développé pour la consultation de comptes, la réalisation de virements, la commande de chéquiers. Mais les ventes ne dépassent pas 20% du marché et ne sont véritablement représentatives, comme dans la librairie, que sur certains segments (le crédit à la consommation notamment).
Dans la librairie, comme dans la banque, sont apparus il y a cinq ans de nouveaux outils qui devaient, qui doivent encore, tout révolutionner : smartphones et tablettes pour les banques ; e-books, tablettes et liseuses (comme Kindle) pour la librairie. Les e-books, cependant, ne dépassent toujours pas 2% des ventes ; et les tablettes ne sont utilisées qu’à 10% pour la lecture de textes. Pour les banques, les ventes sur mobile sont encore très limitées.
Du même mouvement, les librairies indépendantes, comme les agences bancaires, étaient promises à disparaitre. Leur nombre (2 000) est pourtant stable depuis dix ans. Elles ne présentent pas un taux de faillite particulièrement élevé par rapport à d’autres secteurs. Et les librairies indépendantes réalisent toujours 20% du marché. Côté banque, les agences, elles, font encore l’essentiel de ventes. Force est ainsi de constater, dans les deux cas, que la prescription directe, l’attrait d’un spécialiste près de chez soi, n’ont pas d’équivalents digitaux.
Mais les librairies ont dû s’adapter : devenir des lieux plus conviviaux, des lieux d’animations, vendre autre chose que des livres. Les agences bancaires découvrent à leur tour actuellement ces orientations.
Pour les libraires, la question du choix de références proposées représente un gros enjeu. Il semble qu’en deçà de 100 m2, une librairie ne peut pas être rentable – avis aux banques qui, actuellement, sont tentées par des formats réduits d’agence… Pour offrir un meilleur choix à leurs clients, les librairies indépendantes ont dû mettre en place des systèmes de commandes en ligne et de gestion de stocks en réseaux (systèmes librest.com, parislibrairies.fr, …). Cela suit une logique multicanale : les canaux se complètent, ils ne s’excluent pas. Avis aux établissements financiers qui pensent leurs banques en ligne à part, à côté de leur réseau d’agences…
Les points de comparaison, on le voit, sont assez nombreux et il en est encore d’autres, dont on peut se demander s’ils n’annoncent pas des évolutions que connaitront les banques de détail demain.
Cela concerne d’abord les concentrations. Amazon, en effet, concurrence finalement davantage la Fnac ou Cultura, que les petits libraires indépendants. Le commerce en ligne se traduit en d’autres termes par une banalisation de l’offre qui pousse aux concentrations. Aux USA, dans le domaine bancaire, c’est assez ce à quoi l’on assiste actuellement : une forte concentration du marché entre les quatre plus grands établissements et la vivacité, l’innovation des Credit Unions locaux.
La librairie connait par ailleurs une forte mutation de sa clientèle : les jeunes séniors représentent aujourd’hui leur segment de clients non seulement le plus consommateur mais également le plus dynamique et réceptif. Or, nous en avons fait état dans un récent billet, c’est justement ce que les banques sont en train, elles, de découvrir : leurs meilleurs clients ont gagné en maturité.
Derrière cette mutation, il y a une évolution réelle : le marché de la librairie baisse de 3% par an. Les moins de 30 ans comptent moins de grands lecteurs que les générations plus âgées et plus de lecteurs occasionnels. Or on peut également se demander si, en termes d’attente et de comportement, de plus en plus de jeunes ne seront pas tentés par d’autres modèles bancaires par rapport à ceux des principales banques aujourd’hui. Sans doute s’agit-il là cependant d’un thème un peu trop nouveau… Pourtant, l’exemple de la librairie montre que les choses peuvent aller assez vite.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor