Cela peut paraître anecdotique mais, sur le site du Crédit Agricole Brie Picardie, on trouve une page « J’ai un coup dur ». Il n’y a rien là de très bouleversant : la page indique simplement la marche à suivre pour que la banque se porte caution locative, pour puiser dans son épargne de précaution ou pour faire jouer ses assurances. Cependant, le regroupement de telles démarches, vis-à-vis desquelles on attend effectivement une assistance rapide et sans faille de sa banque, est assez intéressant. Avec son titre un peu dramatique (« j’ai un coup dur »), la page souligne la proximité et la réactivité vis-à-vis des clients et cela marque une tendance assez forte aujourd’hui au sein des banques françaises. Une tendance qui recouvre elle-même un choix stratégique décisif.
En janvier 2013, nous nous demandions pourquoi les banques françaises ne se positionnent pas davantage sur les moments de la vie où l’on a vraiment besoin d’elles ? Cette situation était en effet surprenante et, depuis, les choses ont commencé à bouger. Sur le site de la Banque postale, on trouve désormais des pages « Vous venez de perdre un proche » ou « Faire face à une perte d’emploi ».
Cela peut, encore une fois, paraitre assez anecdotique mais cela participe d’une tendance vers plus de solidarité avec leurs clients, que les banques françaises ont développé avec la crise et dont on trouverait bien d’autres exemples, notamment en matière d’accompagnement des personnes en situation fragile : les Points passerelle du Crédit Agricole, la plateforme L’Appui de la Banque postale, la coopération de BNP Paribas avec l’association Crésus, …
Il y a quelques mois, le lancement par le Crédit Agricole des Savoie de son dispositif de « Banque des jours difficiles » nous avait semblé mériter le titre d’innovation de l’année dans la banque de détail en France. C’est qu’avec de telles initiatives, une nouvelle image des banques mais aussi et surtout une nouvelle manière d’envisager les relations bancaires apparaissent, poussant les établissements vers des solutions complémentaires, comme le microcrédit (notamment avec le réseau d’associations Parcours Confiance, monté par les Caisses d’épargne), aussi bien que vers la révision d’offres classiques : forfait de compte de BNP Paribas, crédits aux échéances modulables ReductoFlex de CMP-Banque, solution (chère au demeurant) de Transfert comptant/crédit de Banque Accord, etc.
En fait, il faut même parler d’orientation stratégique. Avec la crise, en effet, se sont creusés partout les écarts non seulement de revenus (avec de plus en plus de personnes en situation précaire et des riches de plus en plus nombreux et riches) mais également de statut professionnel, entre des emplois soumis à une forte pression salariale et d’autres dont les rémunérations confortables continuent d’augmenter. Or, face à une telle situation, beaucoup de banques étrangères, notamment anglo-saxonnes, ont répondu par des offres Premium et Privilège. A ce point qu’une sorte de banque à deux vitesses commence à apparaître dans certains cas.
Les banques françaises, elles, n’ont pas du tout suivi une telle tendance. A quelques exceptions près (les offres Premier de Barclays et HSBC, Priority de BNP Paribas), elles se sont limitées, en fait d’offres Privilèges, à relayer celles de Visa, Mastercard ou d’Amex. Nous l’avons souligné dans un précédent billet, même les banques en ligne, qui attirent d’abord une clientèle moyenne et haut de gamme, n’ont pas véritablement pris cette orientation (sauf BforBank).
En somme, les banques françaises sont majoritairement restées fidèles à leur modèle de banque universelle. Il faut entendre par là des banques délivrant à peu près le même service à tous leurs clients, quelle que soit leur contribution propre. Par là, les banques françaises sont devenues assez singulières sur le plan international, pariant sur la solidarité quand d’autres se plient à la réalité de revenus de plus en plus disparates.
En termes de rentabilité, il s’agit d’un pari dont le succès n’est nullement assuré, de sorte qu’à terme des revirements par rapport à cette tendance sont tout à fait envisageables. Toutefois, proximité et solidarité ne sont pas antiéconomiques. Accompagner les clients en difficulté participe pleinement du suivi des risques et de la prévention des contentieux. Le pari consiste justement à considérer que les banques y ont tout à gagner.
De fait, une banque qui rend son catalogue accessible en ligne et sur mobile et automatise une grande partie de sa distribution s’expose tant à la concurrence de nouveaux entrants qu’à une guerre des prix avec ses concurrents habituels, lesquels proposeront facilement la même chose. Tandis qu’une banque de proximité, à dimension humaine, sur laquelle on peut vraiment compter, est irremplaçable. Peut-être parlera-t-on un jour d’un « modèle français » à ce propos.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor