Récemment encore, Boursorama s’est lancé dans la vente de voitures d’occasion (Boursoshop), le Crédit Agricole Sud Rhône Alpes a créé Tootici, une plateforme de e-commerce qui privilégie les produits de proximité et le Crédit Agricole Centre Loire a conclu un partenariat avec le Drive Fermier du Berry. Depuis quinze ans, les banques ne cessent d’essayer de vendre, directement ou en tant qu’intermédiaires, autre chose que des produits financiers. Pourtant, à part quelques succès, comme dans la télésurveillance, cela marche en général assez mal. Mais elles insistent. C’est en fait l’une des tendances les plus fortes du secteur bancaire, en France comme à l’étranger, quoique l’une des moins aperçues. Une tendance qui commence néanmoins à produire des solutions très innovantes.
Nous en avons souvent traité sur ce site : il y a au départ une idée simple. Les banques ont beaucoup de clients, souvent fidèles, auxquels elles peuvent sans doute vendre autre chose que des produits financiers. Depuis quinze ans, elles ont essayé pratiquement toutes les formules pour le faire : plateformes BtoB, services externalisés, réseaux communautaires, plateformes de e-commerce, galeries marchandes, … En général, ces essais ont été décevants. Les Caisses de Crédit Agricole Franche-Comté et Champagne Bourgogne ont créé des galeries marchandes en ligne, qui n’ont encore attiré que respectivement 40 et 22 commerçants…
Offres hétéroclites, trop limitées ou insuffisamment renouvelées, modèle économique peu défini et donc incertain à terme pour les commerçants, insuffisante communication et manque de relais de la part des réseaux de distributions (les agences en particulier) s’estimant incompétents pour promouvoir les offres et craignant de se retrouver en première ligne face aux clients en cas de plaintes, les raisons sont multiples pour expliquer les déceptions. Cependant, pour les banques, leurs larges bases de clientèle sont un atout qu’il doit bien être possible de mobiliser en tant que tel. Mettre en contact acheteurs et vendeurs ne suffit pas sans doute. Il faut donc trouver une autre manière d’intervenir et, à cet égard, les mobiles offrent d’intéressantes perspectives.
Les smartphones sont à même de changer en effet assez radicalement la manière dont nous réalisons nos achats, particulièrement dans les magasins. D’ores et déjà, beaucoup de mobinautes les utilisent non seulement pour payer mais aussi pour se renseigner, comparer les prix, demander des conseils à des proches, recevoir des promotions personnalisées, y compris de manière instantanée à partir du moment où ils ont poussé la porte d’un magasin.
Ce que les banques doivent fournir, dès lors, n’est pas seulement un moyen de payer avec son mobile – ce que sont pour l’essentiel la plupart des wallets – mais un support d’achat pour les particuliers, en même temps que de vente pour les commerçants. Un support intégré, de la décision d’achat jusqu’au suivi de l’impact des dépenses ou des ventes sur son budget (ce qu’apportent les outils de PFM).
Nous l’avons signalé, un premier pas décisif à cet égard fut le développement par certaines banques d’applications de recherches immobilières. Ensuite, il y eut les stratégies de développement de startups telles que Square ou iZettle, fournisseuses de solutions mPos permettant aux commerçants d’utiliser un smartphone comme terminal de paiement pour les cartes bancaires. Nous l’avons également signalé : fort du succès de sa solution mPos, Square a développé une stratégie d’acquisitions originale pour fournir des outils d’aide à la gestion d’activité et à l’action commerciale aux commerçants, tout en créant également une marketplace.
Embrasser ensemble les marchés des particuliers et des entreprises et rendre le commerce plus facile pour tous, voilà la nouvelle valeur ajoutée que les banques peuvent créer. A vrai dire, cette découverte est toute récente. Mais ainsi est apparue Yaap, une solution mobile montée par Santander, CaixaBank et Telefonica, qui est une plateforme de e-commerce et surtout, pour les commerces, un hub pour adresser à des clients potentiels un ensemble de promotions ciblées. Yaap est d’abord cela, plutôt qu’un moyen de paiement. C’est que la fonction de paiement doit désormais être vue de manière différente. Elle doit être la plus commode, la plus ouverte et la plus sécurisée possible – ce qu’offre finalement Apple Pay.
On a dit que Pay ne représentait sans doute qu’une première étape, avant qu’Apple ne lance son wallet. Mais rien n’est moins sûr. Les portefeuilles électroniques semblent en fait dépassés. Il ne s’agit pas en effet d’installer des comptes bancaires dans les mobiles mais de faire de ceux-ci des instruments d’achat – ce qu’Apple saurait parfaitement faire sans doute.
Le portefeuille électronique ne suffit pas – et il n’a d’ailleurs pas vraiment convaincu la plupart du temps – s’il se limite pour l’essentiel à une fonction de portefeuille. L’enjeu, pour les banques, est plutôt de répondre à la fonction de compagnon d’achat que remplissent les mobiles et c’est pourquoi les marketplaces bancaires ont fourni une très bonne piste.
En d’autres termes, une appli mobile de paiement doit réunir 1°) une galerie marchande de commerces et, avec elle, la possibilité de se constituer une communauté de commerces favoris à suivre ; 2°) une fonction d’animation commerciale, passant par la liaison directe des commerces et des acheteurs et se traduisant notamment par des offres et promotions personnalisées mais qui peut également correspondre à la fourniture par la banque aux commerçants de données marketing ou d’outils de gestion ; 3°) un système de paiement multicanal. Il peut avoir une fonction portefeuille mais s’impose surtout la possibilité d’y entrer un numéro de compte ou une carte bancaire de son choix (comme Apple Pay).
A ce stade, une solution répond pleinement à ces attentes : Fivory, du Crédit Mutuel, qui n’est pas un wallet comme les autres mais qui se présente plutôt comme un outil « de shopping connecté » et dont nous venons en fait de présenter les principales fonctionnalités.
Est-ce que Fivory va marcher ? Le Crédit Mutuel a-t-il trouvé la solution ? Enfin ? Fivory n’est ni vraiment un wallet, ni une marketplace. Il anticipe plutôt le développement d’une nouvelle manière de réaliser nos achats. C’est un pari ambitieux qui, venant trop tôt notamment, pourrait tout à fait échouer. C’est à cela que ressemblent souvent d’abord les innovations importantes.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor