Un récent article d’American Banker montre comment les banques sont à même de contribuer à lutter contre les trafics humains – 21 millions de personnes dans le monde sont concernées. En septembre 2014, un guide a été communiqué aux banques américaines pour qu’elles détectent des comportements suspects, permettant de pister les organisations à l’origine de ces trafics. Mais l’information est susceptible d’aller dans les deux sens : les agences spécialisées de lutte contre la criminalité peuvent solliciter les banques qui, à leur tour, peuvent les alerter sur certaines nouvelles pratiques leur paraissant suspectes. Compte tenu de l’enjeu, on ne peut évidemment rien objecter à de telles démarches, qui ouvrent cependant des perspectives plus que troublantes.
« Financial forensic represents one of the most effective means of identifying a providing evidence to convict criminals profiteering from human trafficking », souligne l’article. C’est certainement exact et, en fait, il n’y a guère de raison de limiter cette affirmation au seul cas des trafics humains, parmi d’autres entreprises criminelles, le terrorisme notamment. Dès lors que des actions délictueuses échappent aux transactions en cash, les banques sont particulièrement bien placées pour les détecter et, éventuellement, les dénoncer. Or, aujourd’hui, avec les outils de Big Data, apparait la possibilité de traiter et de stocker des données à un niveau de granularité individuelle encore jamais connu. De là à imaginer que demain, pour le compte des Etats, les banques soient conduites à remplir une fonction de surveillance individuelle planétaire, il n’y a qu’un pas assez facile à franchir. Bien entendu, la perspective est suffisamment troublante pour que beaucoup refusent de l’envisager et parlent plutôt de fantasmes ou de paranoïa. Pourtant, on voit mal ce qui pourrait empêcher qu’elle ne se mette en place.
Mais il faut aller plus loin. A l’heure du Big Data, les banques acquièrent la possibilité de fouiller à l’échelle des comportements individuels non seulement les actes potentiellement délictueux mais encore peu recommandables ou simplement déplaisants. Et ceci, simplement, en scrutant et en stockant nos dépenses et mouvements en compte. Cela se fait déjà dans une optique marketing et la question est de savoir si, demain, les scorings individuels eux-mêmes n’intégreront pas des éléments de plus en plus moralisants ; si le fait de fumer ou d’aller au restaurant plus souvent que la moyenne, par exemple, ne sera pas vu – à notre insu – comme un mauvais indice comportemental entrant dans l’appréciation d’une demande de crédit. Bien sûr, bien d’autres critères peuvent être imaginés.
Assez étrangement, lorsqu’on imagine la banque de demain, ce sont là deux orientations déterminantes dont on ne parle pratiquement jamais. Deux orientations d’ores et déjà accessibles et déterminantes car, bien entendu, le public y sera de plus en plus sensible. D’après un sondage commandé par MasterCard, 55% des personnes interrogées déclarent préférer, à tout prendre, que des photos d’elles nues circulent sur internet plutôt qu’on n’accède à leurs données financières, rapporte The Financial Brand. Pour le moment, les craintes portent surtout sur la sécurité de ces données et le fait que les banques qui les détiennent puissent être hackées, bien plus que sur les usages que les banques elles-mêmes pourraient en faire. Mais la question se posera très vite et quel discours crédible et cohérent les banques tiendront-elles alors ? Un beau sujet de réflexion pour l’été, n’est-ce pas ?
I. Reider/Score Advisor