Les entreprises – dont les banques – recherchent des formules pour recruter des profils créatifs, aussi bien que pour stimuler la créativité de leurs personnels. Toutefois, la créativité exigeant tout à la fois de la liberté, de la spontanéité et de l’enthousiasme, la stimuler au bureau n’est pas une mince affaire. Et l’argent n’est pas la solution. Les choses ne sont pas si simples. Un récent article de deux économistes publié dans le Journal of the European Economic Association permet de préciser un peu les choses.
Selon Gary Charness de l’UC Santa Barbara et Daniela Grieco de l’Université Bocconi, les concours assortis de prix ont souvent conduit à des innovations : dans les années 1860, Napoléon III lança un concours portant sur la découverte d’un substitut bon marché du beurre et c’est ainsi que la margarine fut inventée.
Mais, au-delà, les deux économistes notent que rémunérer directement des personnes pour qu’elles soient plus ou en permanence créatives est souvent contre-productif. Exactement comme augmenter considérablement un budget de recherche ne permet pas automatiquement de réaliser d’importantes avancées. Toutefois, il semble que, pour certaines tâches, cela puisse effectivement marcher.
Les deux économistes se sont livrés à une expérience, réunissant 328 participants. Entre ces derniers ont été distribuées des tâches « ouvertes » ou « fermées ». Les tâches « fermées » avaient un objectif clair et des paramètres bien spécifiés, comme utiliser certains mots pour créer une histoire ou utiliser un ensemble de processus mathématiques définis. Les tâches «ouvertes», au contraire, faisaient l’objet d’instructions mais n’étaient guère spécifiées et n’avaient pas vraiment de limites. Il s’agissait par exemple de décrire une société future ou de créer des inventions imaginaires.
Les participants ont été répartis en groupes. Certains parmi ceux-ci ont été invités à classer les travaux d’autres groupes quant à leur créativité. Tous les groupes ainsi jugés ne savaient pas par avance qu’ils le seraient. Par ailleurs, des incitations financières ont été offertes à certains groupes. Par exemple un prix de 9 $ pour le travail jugé le plus créatif.
Bien sûr, il est toujours difficile d’estimer jusqu’où les résultats de ce genre d’expérience de psychologie sociale peuvent être reproduits et extrapolés. Mais les conclusions de l’étude sont intéressantes.
Il semble tout d’abord que l’argent a un certain impact pour les tâches fermées. Tandis que, dans les groupes effectuant des tâches ouvertes, la récompense financière n’a pas suscité des résultats significativement supérieurs. En d’autres termes, la rémunération est surtout incitative si les objectifs à atteindre sont suffisamment définis.
Par ailleurs, l’expérience a permis de constater que l’anticipation d’un classement par ses pairs suscitait une créativité accrue des groupes effectuant des tâches à la fois fermées et ouvertes. Cela ne représente d’ailleurs pas véritablement une surprise et doit être rattaché à « l’effet Hawthorne », bien connu en management de la performance (le regard d’un observateur ou de pairs, vécue comme valorisante, modifie les comportements des observés).
Dès lors, cherchez l’erreur ! Selon le Wall Street Journal, Goldman Sachs prévoit de publier sur GitHub une partie des codes informatiques qu’il utilise pour pricer des actifs, ainsi que pour analyser et gérer ses risques. Et la banque offrira ainsi 100 000 $ à qui, à partir de ces codes, saura développer de nouvelles applications intéressantes.
Ce n’est bien entendu qu’un exemple. Depuis quelques années, on ne compte plus les challenges et démarches comparables que des entreprises et des banques ont pu engager. Sauf qu’à suivre les constats que nous venons de présenter, cela n’a pas tellement de chance de marcher, c’est-à-dire de susciter des innovations très intéressantes (d’ailleurs n’est-ce pas le cas la plupart du temps ?).
Tout simplement parce que si la rémunération est plutôt conséquente, la tâche parait bien trop ouverte. On pourrait en tirer pour principe qu’une entreprise suscitera d’autant plus efficacement la créativité qu’elle aura une idée suffisamment précise de ce qu’elle cherche à obtenir. Appelons cela « l’effet margarine ».
Score Advisor