La finance participative s’est imposée. Tout le monde s’accorde désormais à reconnaître qu’elle est là pour durer et que les banques, d’une manière ou d’une autre, devront composer avec elle. Toutefois, sous ses trois principales formes – crowdfunding, crowdlending et crowdequity – la finance participative s’est développée à travers des règles précises et assez rigides que la loi, en France, a finalement entérinées. Les plateformes qui très vite se sont multipliées se ressemblent souvent toutes, quasiment traits pour traits. Pourtant, la finance participative favorise également l’éclosion de solutions originales et de stratégies différenciées. Nous en présenterons plusieurs au cours de l’été et la première sera Movies Angels, focalisée sur la production de films de cinéma. Son Président fondateur, Antoine Schneider, a répondu à nos questions.
L’idée est très simple : à travers le site www.movies-angels.com on finance directement un film de cinéma. « Avec un investissement minimum de 500€, explique Antoine Schneider, chacun peut ainsi devenir coproducteur, c’est-à-dire devenir un véritable partenaire et bénéficier du suivi détaillé de la production (invitations sur le tournage et aux projections privées, mention de son nom au générique, etc.).» Cet investissement est éligible aux dispositifs de défiscalisation TEPA (ISF) et Dutreil (IR).
Un comité de sélection, réunissant des professionnels, choisit des projets prometteurs, fondant son évaluation sur deux critères essentiels : la qualité artistique et le potentiel de rentabilité – il s’agit de films aux budgets bien maîtrisés (allant de 2,2 à 4 M€) et aux seuils de rentabilité accessibles.
Pour le moment, seuls trois projets de films, sur une centaine, ont été retenus. Mais, alors que 445 millions € ont été investis en moins dans la production cinématographique en 2014 par rapport à 2010, le pari d’Antoine Schneider est ambitieux. Aujourd’hui, le financement d’un film est en moyenne assuré pour un tiers par des aides et subventions et pour un autre tiers par les préachats (réglementaires) des chaînes télés. Reste donc un gap d’un troisième tiers, qu’en France les banques n’acceptent pas facilement de financer. Ce sont en fait les distributeurs qui comblent la différence mais qui, en retour, exigent d’être payés en priorité sur les recettes. Tant qu’ils n’ont pas récupéré leur apport, les autres financeurs, les producteurs, ne perçoivent rien sur les tickets. Or ce n’est pas rare. « De nombreux films ont été considérés comme non rentables malgré leur succès en salle. » Dans ces conditions, les apports de fonds en crowdfunding permettraient aux producteurs d’être moins dépendants des avances des distributeurs. Les uns et les autres pourraient partager les recettes de manière commune, à la hauteur de leurs apports respectifs. « Cela heurterait les habitudes au départ, admet Antoine Schneider, mais ce serait finalement plus sécurisant pour les distributeurs. » Au total, moins de temps serait consacré à l’ingénierie financière et plus à la partie artistique. « Car, ce qui nous réunit, c’est avant tout l’envie que naissent des films, c’est la magie du cinéma ! »
Originale, la solution de Movies Angel parait particulièrement intéressante à un double titre. D’abord elle peut être étendue à bien d’autres projets, notamment artistiques – les concerts par exemple. En Grande-Bretagne, Songkick a lancé une formule de ce genre. A terme, Antoine Schneider n’écarte pas une telle diversification.
Ensuite, pour chaque projet de film, une société (SAS) est créée, qui est présidée par Movies Angels et dont chaque financeur devient actionnaire, ses parts étant valorisées en fonction du succès commercial du film (« le contrat de coproduction représente également pour la société une valeur d’actif – qui peut être cédée – car les droits de coproduction sont détenus pour une durée de 30 ans », précise Antoine Schneider). Movies Angels est ainsi une plateforme de crowdequity. A terme, une fois l’exploitation du film achevée, la société a vocation à être dissoute. L’idée paraît plutôt séduisante. Aux XVII° et XVIII° siècles, c’était ainsi qu’on finançait, à travers des sociétés créées de manière temporaire, les lointaines expéditions maritimes et c’est ce qui a donné aux bourses de Londres et d’Amsterdam leur premier essor. Les actionnaires étaient tous solidaires en cas de perte et les risques étaient encore plus élevés que dans le financement de films aujourd’hui ! Si tout se passait bien, on partageait simplement les recettes à hauteur de son apport. En ce sens, Antoine Schneider parle de « financement responsable ». Il faut prendre la formule au sens le plus fort : à travers la plateforme, on investit en direct, sans intermédiaire. Il y faut à la fois de la passion et le goût du risque. Cela se nomme l’aventure et ce n’est plus très fréquent dans le monde de l’investissement. Movies Angels propose des investissements en annonçant clairement qu’ils sont risqués. Enfin !
Guillaume ALMERAS/Score Advisor
NB : les trois films proposés au financement sont Creeeps!, le douzième long-métrage du réalisateur culte Américain Gregg Araki, Grand Froid, une comédie fine et décalée portée par un casting fort : Jean-Pierre Bacri, Olivier Gourmet et Arthur Dupont et Corporate, un polar social avec Céline Sallette. Vous en saurez beaucoup plus en vous rendant sur le site de Movies Angels mais Antoine Schneider nous a finalement demandé si nous pouvions brièvement citer les trois films. Des passionnés, on vous dit !