On a si souvent annoncé la fin des banques depuis une dizaine d’années que cela commence à devenir lassant. Cette fois, pourtant, la projection de Gartner est intéressante. On est en effet tenté de se dire que ce que le célèbre cabinet de conseil prédit pourrait bien arriver. Mais pour la raison inverse de celle qu’il incrimine ! Cela ne semble pas clair ? Explication.
Selon Gartner, ce n’est pas l’activité bancaire qui devrait disparaître mais les banques actuelles qui seront exclues du marché, cantonnées au mieux à un rôle de back office et remplacées par de nouveaux acteurs. Pourquoi ? Parce qu’elles sont en fait, malgré de nombreux effets d’annonce, incapables d’engager leur propre transformation digitale. Elles se développent certes sur les canaux digitaux et automatisent leur process mais elles gagnent ainsi seulement en productivité et ne font qu’habiller de manière nouvelle leurs vieilles pratiques.
En quoi consiste dès lors la transformation digitale que les banques ne savent pas engager ? Ce n’est pas très clair. Les banques seraient incapables de saisir comment le monde est en train de muter. Mais en quel sens ? Sont convoqués, à titre de pistes, les échanges en P2P et l’inévitable blockchain qui va, bien entendu, changer le monde (signalons à ce propos et au passage, cette intéressante étude qui montre ce qu’il en est réellement de la décentralisation affichée des crypto-devises).
Bref, Gartner n’a lui-même pas beaucoup fait évoluer ses critères d’analyse depuis dix ans et, quand il affirme que les grands acteurs financiers de demain seront légers et agiles, il semble oublier ou ne pas très bien savoir ce qu’est une banque et ce qui en conditionne l’activité. Or – et c’est en cela que ce discours est intéressant – on a l’impression que les banques ont elles-mêmes tendance à l’oublier également.
Prenons un exemple. Aux Etat-Unis, Capital One et Bank of America ont lancé leurs assistants personnalisés virtuels Eno et Erica.
Bank of America se félicite que, deux mois après son lancement en mars dernier, Erica ait conquis un million d’utilisateurs. Erica est un assistant personnel mobilisant les ressources de l’IA pour connaitre les habitudes des clients, leur venir en aide et leur fournir des conseils, aujourd’hui de manière limitée à quelques opérations simples mais, demain, élargis à l’ensemble des activités bancaires. Une innovation très intéressante, donc, dont on peut imaginer qu’elle deviendra un service de base à terme. Toutefois, si ces fonctions d’assistance semblent très pertinentes, attend-on vraiment que des banques développent elles-mêmes des assistants virtuels ? Font-elles ainsi autre chose que préparer leurs clients à adopter Alexa ou d’autres assistants plus globaux, dès lors qu’y seront proposées les mêmes fonctions, parmi bien d’autres !?
Gartner a sans doute raison : par bien des côtés, la transformation digitale et l’automatisation (particulièrement des process d’octroi) que mènent actuellement les banques banalisent leurs activités et les rendent accessibles à d’autres acteurs plus innovants ou plus à même de gagner un plus large public. Toutefois, est-ce parce que les banques ne se transforment pas assez ou parce qu’à côté d’innovations essentiellement de process et qui semblent inévitables en elles-mêmes, elles tendent à s’en contenter et à négliger leurs fonctions premières, comme sécuriser l’épargne, proposer des placements rémunérateurs et accorder des financements ?
Car, à cet égard, quelles innovations importantes sont intervenues depuis vingt ans ? Qui puissent être comparées à l’apparition des cartes de crédit, qui associèrent les facilités de paiement aux dépenses les plus courantes, ou des OPCVM, qui démocratisèrent l’accès aux marchés financiers ?
La transformation digitale est certainement nécessaire mais dans un contexte où les rendements de l’épargne se sont effondrés avec les taux, où le risque obligataire augmente avec l’endettement des Etats et rend la notion de placement sécurisé de plus en plus relative, où la question du financement des retraites est clairement posée, où les étudiants se paupérisent et les primo-accédants sont de moins en moins nombreux sur le marché immobilier, pour ne citer que quelques phénomènes massifs parmi bien d’autres, il est permis de penser que l’avenir des banques se joue – aujourd’hui – sur des innovations de métier, plus que sur l’adoption de la blockchain.
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