Parmi les études les plus intéressantes parues cette année sur les évolutions et stratégies bancaires, il y a celle rédigée par deux sociétés de conseil chinoises (des consultants qui travaillent ensemble ! On innove vraiment en Chine…) et publiée par Innotribe The Platform for Disruption. How China’s FinTech will change how the world thinks about banking (accessible ici).
Alors que l’on se demande encore en Occident si les Apple, Amazon et autres remplaceront demain en large partie les banques classiques, cela est déjà le cas en Chine, souligne l’étude. Et cela montre que l’Occident, au fond, n’a pas une bonne approche de l’innovation. Certes, écrite par des consultants chinois, l’étude n’est pas sans partis pris. Ses arguments ne sauraient cependant être négligés.
Nous avons déjà présenté les initiatives financières des Alibaba, Baidu et Tencent, ces monstres de l’internet chinois qui sont récemment devenus des banques de plein exercice – des banques Big Data native. Mais il est vrai que ce qui se passe en Chine a toujours tendance, vu d’ici, à conserver un caractère « exotique » et n’est pas directement rapporté aux évolutions ayant cours dans les pays occidentaux. De ce point de vue, l’étude présente d’abord l’intérêt de mettre directement les deux mondes en regard. Or, que constate-t-on ?
En Occident, les banques et les startups fintech – l’étude a ceci de particulièrement suggestif qu’elle ne les différencie pas nettement, les unes et les autres partageant à ses yeux un même aveuglement fondamental – sont focalisées sur quelques usages innovants, rarement plus d’un ou deux en même temps, comme la gestion de comptes ou la souscription de prêts en ligne par exemple.
Un usage étant donné : transferts et emprunt d’argent, etc., les startups en facilitent en général l’emploi, l’ouvrent à certaines autres fonctions et en baissent le coût d’acquisition. De fait, qu’il s’agisse de financement participatif ou d’outils de PFM, ce constat est difficilement contournable.
Les banques, de même, pensent l’innovation en termes de produits et de services nouveaux et, si elles ne les développent pas elles-mêmes, comptent sur des alliances et des acquisitions de startups et de technologies de rupture comme les blockchains.
On pourrait encore ajouter que cela vaut également pour les Apple, Amazon et consorts, qui investissent certains services, les paiements ou les comparateurs notamment, mais semblent finalement incapables d’élaborer une vision d’ensemble qui les pousserait à changer radicalement les usages bancaires. Une vision non pas de produits mais de marché.
De sorte qu’en Occident, souligne l’étude, un même trait caractérise de manière surprenante les innovations que proposent les banques, les startups fintech et les nouveaux acteurs qui investissent les services financiers, grands de l’internet et opérateurs téléphoniques : ils ne convertissent que peu de nouveaux clients. Depuis quinze ans, quelle innovation dans le domaine bancaire, de la banque en ligne au paiement sans contact, a gagné plus de 15% de son marché ? L’internet, sur ordinateur ou mobile, est devenu le premier canal de contact avec sa banque mais, pour les ventes, c’est une autre affaire.
Les nouveaux acteurs chinois, eux, sont à la base de gigantesques plateformes de e-commerce et cela leur procure une agilité dont aucune banque, chinoise ou occidentale, n’est à même aujourd’hui de rêver. Collecte et exploitation de données, multiples expériences de marché, intégration d’offres et de services. Les banques occidentales pensent en termes de produits et services et cherchent des techniques innovantes. Les nouveaux acteurs chinois pensent en termes de marché, pour capitaliser sur les nouveaux usages et les nouvelles attentes qui sont en train d’y naitre – avec une orientation structurante : être le moins cher possible. Cela suppose une vision totalement nouvelle des moyens informatiques et des effets d’échelle massifs que ces acteurs sont en train de conquérir, outre sur leur propre marché, non pas en Occident mais dans d’autres pays émergents. En Inde, où Alibaba a acquis le réseau de téléphonie mobile Paytm. Ou en Corée du Sud, où Baidu vient d’obtenir une licence bancaire.
Tout repose donc sur une différence radicale d’approche, suggère l’étude. Les Occidentaux estiment que les ruptures peuvent être anticipées et ils tentent donc de deviner sur quelles innovations ils doivent miser. Pour les nouveaux acteurs chinois, les vraies innovations sont par principe inattendues et l’important est d’être le plus en prise possible avec les marchés et, mieux encore, d’être le marché. Le nouveau modèle bancaire qui est en train d’émerger est ainsi celui de plateformes de marché globales, suggère l’étude.
Etre partie prenante là où les choses s’inventent : nouveaux comportements de consommation, nouvelles pratiques commerciales, nouveaux marchés. Y capter les attentes, les opportunités.
Avec le commerce en ligne, l’essentiel du commerce va de plus en plus s’installer sur des plateformes globales. Amazon, iTunes, TripAdvisor : les exemples sont sous nos yeux. Cela signifie notamment que les transactions sont à même d’y acquérir une dimension internationale inaccessible et même inimaginable pour des petites et moyennes entreprises, pour de simples boutiques, il y a encore dix ans. Dans chaque pays, les entreprises à potentiel sont davantage là que dans la Silicon Valley, suggère l’étude. Quelles banques néanmoins ont intégré cette dimension dans leur vision stratégique ? Pour la France, la réponse serait sans doute assez difficile à donner.
Le pari est que le e-commerce et ses développements vont complètement transformer les besoins financiers et donc les banques elles-mêmes. Comment ? De quelle façon précise ? Ce sont bien là des questions occidentales !, à suivre l’étude. L’important n’est pas de les poser, encore moins d’attendre qu’elles trouvent des réponses pour s’en préoccuper. L’important est plutôt d’être capable d’intégrer les business platforms de demain, de contribuer à leur formation même, d’essayer en tous cas de se déployer dans cette direction. C’est la seule issue qui compte vraiment aujourd’hui pour les banques, affirme l’étude. Et à cet égard, est-il souligné, Alibaba, Baidu et Tencent ont pris une avance considérable qu’à terme les banques occidentales auront de plus en plus de mal à rattraper.
Guillaume ALMERAS & Wayne C. / Score Advisor