Au Royaume-Uni, Virgin Money n’ouvre pas des agences mais des salons :
A l’évidence, de tels endroits – les cafés d’ING Direct appellent la même remarque – ne s’adressent pas tellement à une clientèle populaire mais plutôt urbaine, aisée et surtout éduquée. Et il est intéressant de constater qu’une banque née en ligne, comme Virgin Money, dès lors qu’elle ouvre des points de vente physiques, semble ne s’intéresser qu’à certaines classes sociales. Faut-il y voir une préfiguration de ce que sera la banque demain : le mobile et les centres d’appel pour le peuple et le contact direct, personnalisé, seulement pour ceux qui en ont les moyens ? D’une certaine façon, cela nous renverrait 50 à 60 ans en arrière, quand on n’ouvrait un compte que sur recommandation, quand les agences étaient surtout concentrées en centre-ville et dans les beaux quartiers, le petit peuple devant se contenter des mandats postaux et des caisses d’épargne.
Une double tendance est apparue ces dernières années qui, pour être plus visible en Grande-Bretagne qu’ailleurs, n’en est pas moins générale :
- Distinguer des offres standard et premium – des services de seconde et de première classe en somme.
- Au sein des réseaux d’agences, introduire des espaces Premiers copiant, parfois très exactement, les salons Classe affaire des aéroports – ainsi HSBC, dans les deux exemples suivants :
C’est là finalement le contrecoup inévitable de la course aux dépôts à laquelle les banques se livrent depuis quelques années : comment attirer les clients les mieux dotés ? Mais, s’il s’agit là d’une question générale, tous les établissements ne l’abordent pas avec les mêmes armes. Pour les nouvelles banques digitales, une opportunité peut-être historique semble s’offrir : avec quelques points de vente bouleversant la relation bancaire, attirer les meilleurs clients, tandis que les grands établissements seront pénalisés par des réseaux vétustes, désertés et chers à restructurer. Cela semble imparable et beaucoup sans doute n’hésiteront pas à deviner là la fin des banques classiques.
Est-ce si sûr ? La distinction de services de 1°, 2° et 3° classe, ce qu’on pourrait désigner comme une « gentryfication » des relations bancaires, est-elle stratégiquement un bon calcul ?
D’abord, cela n’améliorera pas l’image des banques. Mais bon, business is business, dira-t-on.
Ensuite, transformer les agences en salons ou en cafés a quelque chose de bizarre. C’est que les salons d’aéroport répondent au souci de gérer une attente. Or ce sera de moins en moins le cas dans les agences bancaires. L’âge des files au guichet est passé. Dès lors, les beaux salons bancaires pourraient bien être encore plus vides que les agences ou ne retenir que des gens qui n’achètent rien. Est-ce le but ? Sachant que ces nouveaux modèles développent un niveau de service onéreux, en viendra-t-on à facturer les cafés ?
Enfin, le mauvais pari serait de croire que les clients les plus aisés ou les plus éduqués sont les plus rentables. L’erreur serait de se contenter de cette vision trop simple ; comme de celle consistant à croire que ce sont les clients qui utilisent le plus les canaux en ligne qui sont les moins disposés à se rendre dans les agences. Beaucoup d’études – et les nôtres en particulier – montrent que c’est pratiquement le contraire ! Aussi, s’il s’agit de définir des services Premium, il parait plus intéressant de ne pas les lier a priori à des conditions de ressources ou de dépôts – c’est par exemple l’approche qu’a retenue RBS.
Alors que les revenus stagnent, avec la croissance, dans les pays européens, la tendance ne peut-être que de privilégier la banque de gestion de fortune et, au sein de la banque de détail, une population mass affluent. A ce titre, nous verrons sans doute prochainement apparaitre des services et offres qui lui seront pratiquement réservés – tout de même que les services business et first des compagnies aériennes s’affichent de plus en plus comme autant de privilèges. Mais, si c’est là l’esprit du temps, cela ne suffit sans doute pas à en faire un modèle pour la banque de demain.
T. LOWRY/Score Advisor