C’est un cas typique d’évolution d’usages sous l’impact de nouvelles technologies : l’acquisition de titres de transport n’a plus réellement d’utilité dès lors que nous disposons, en mobilité, d’objets connectés comme nos smartphones qui permettent de régler directement nos déplacements. Tout en intégrant les conditions particulières dont nous pouvons bénéficier et tout en conservant la trace du règlement. Pour accélérer cette évolution, la Loi d’orientation des mobilités (LOM, publiée en décembre 2019) a libéré le marché de la billettique. Les banques vont-elles en profiter ?
Bien entendu, dès lors que les titres de transports sont dématérialisés, le principal enjeu de l’open payment consiste à pouvoir régler à partir d’un même support connecté le plus possible de transports différents, malgré la multiplicité des opérateurs. D’autant que cela favorise l’usage des transports écologiquement vertueux, lesquels, à ce stade, sont surtout intéressants s’ils peuvent être mixés.
En ce sens et pour faciliter cette intégration, la LOM va donner un libre accès, mi-2021, à la billettique de tous les transports publics. Tout le monde pourra ainsi, en principe, proposer la vente de transports publics. Toutefois, beaucoup d’incertitudes demeurant quant aux tarifs qui pourront être proposés, quant aux partages de données, etc., les efforts progressent pour le moment en ordre assez fragmentaires et dispersés, souvent à une échelle très locale et pour le couplage de quelques modes de transport seulement. Et chaque opérateur a tendance à vouloir proposer sa propre appli de Mobility as a service – en français : de « mobilité servicielle » – ce qui ne répond pas précisément à l’enjeu !
La LOM a bien prévu un titre-mobilité qui permettra, sur le modèle des tickets-restaurants, la prise en charge par les employeurs des frais de transport personnels. Des sociétés comme Edenred (on parle également de startups comme Swile, ex-Lunchr) se sont lancées sur ce nouveau support, qui sera toutefois limité aux modes de transports vertueux (dont les véhicules électriques) et qui se surajoutera au remboursement partiel par les employeurs des abonnements de transport en commun. Un nouveau moyen de paiement particulier donc. Quand la grande novation introduite notamment par Uber est de dispenser d’avoir à utiliser un moyen de paiement particulier pour régler nos déplacements – jusqu’à pouvoir débiter directement son compte comme le propose Paypal dans l’appli d’Uber.
Qui parviendra le plus rapidement et le plus commodément à intégrer le maximum d’opérateurs de transport sur un seul support permettant des paiements dématérialisés ? Un acteur bien positionné comme Citymapper, qui vient de lancer un pass au Royaume-Uni ?
Certains suggèrent que les GAFAM seraient tout à fait en mesure d’accaparer ce nouveau marché. Et les banques ? Elles paraissent particulièrement bien positionnées – surtout si elles songeaient à s’associer, sur le modèle de Paylib et comme en ont justement décidé les banques indiennes. Les banques ont pour principaux atouts d’être indispensables pour le montage des solutions de paiement aux valideurs (voir par exemple avec Natixis payments). Et leurs applis – on ne le réalise pas assez – sont de loin parmi les plus utilisées et les plus plébiscitées, pour leur sécurité, par les mobinautes. Ces applis ne pourraient-elles être directement utilisées dès lors pour régler nos déplacements ?
Certes mais sous quelles modalités ? Les choses ne sont pas si simples. Par commodité, on ne peut devoir utiliser deux applis différentes pour nous renseigner et pour régler. Il faut donc que l’appli bancaire, si elle permet des règlements, ouvre également sur des consultations d’horaires par exemple. Nous sommes ainsi dans un modèle de banque-plateforme qu’a commencé à développer, en Europe, un établissement comme KBC pour des billets de trains. Toutefois est-il vraiment possible d’ouvrir ainsi les applis bancaires à une multitude de partenaires ? Les banques indiennes ont choisi de passer par une seule plateforme commune.
Une autre orientation consiste à renverser l’approche et à s’introduire chez les opérateurs pour y permettre directement les règlements sans passer par une étape de paiement particulière. Le modèle est alors celui de la banque invisible. Vous prenez place dans un train et, grâce à des capteurs ainsi qu’à votre smartphone, votre trajet est repéré et son tarif directement prélevé sur votre compte via votre appli bancaire. Vous pouvez ne même pas y penser ! Difficile de faire davantage frictionless, que cette solution qu’ING a mise en test aux Pays-Bas avec ses Invisible Tickets.
Bien qu’annoncée pour être étendue à d’autres pays et à d’autres modes de transport, une telle solution suppose néanmoins une infrastructure conséquente dont la mise en place peut paraître assez lointaine et peu accessible à un seul établissement. Quoi qu’il en soit, cette double orientation banque plateforme/banque invisible parait particulièrement intéressante. Au-delà de la question du ticketing, elle est en train de devenir l’un des axes stratégiques les plus déterminants de la banque digitale.
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