Pour favoriser l’accès au crédit de la majorité des particuliers et des petites entreprises et commerces, très mal servis par les banques, le gouvernement chinois encourage la création de cinq banques privées. Il s’est tourné à cet effet vers les géants locaux de l’internet, Alibaba, Baidu et Tencent ; tous trois déjà bien engagés dans les services financiers et dont il est intéressant de voir comment ils envisagent à présent de s’y déployer.
Tencent a été le premier à monter WeBank, une banque 100% en ligne et prioritairement sur mobile lancée fin 2014 et qui devrait être pleinement opérationnelle en avril. Tencent gère le premier réseau social chinois : WeChat.
Alibaba, le n°1 local du e-commerce, a également annoncé le lancement prochain de MyBank à travers son Holding Ant Finance, qui gère déjà des plateformes de financement des PME (Zhao Caibao) et de microcrédits pour les TPE (Ant Credit).
Les trois acteurs ont lancé leurs propres plateformes de paiement et wallets (AliPay, BaiduPay, TencentPay). Mais, jusqu’ici, ils ne pouvaient opérer, en matière de crédit et dépôts, qu’à travers des partenariats avec des acteurs financiers. Le gouvernement leur a offert une licence bancaire de plein exercice (incluant le développement à l’étranger), tandis que les dispositions réglementaires ont été revues concernant le ratio prêts/dépôts (porté à 75%) et la garantie dont disposeront à présent les dépôts inférieurs à 500 K Rmb.
Dans ces conditions, le succès des nouvelles banques semble assuré pour la plupart des observateurs, dans la mesure où les trois géants de l’internet ont déjà fait la preuve de leur capacité à attirer des dépôts, soit directement, soit à travers la vente en ligne de produits de placement (Alibaba est l’actionnaire majoritaire de Yu’ebao, le premier fonds de placement du pays).
WeBank s’est fixé pour objectifs de servir 300 millions de particuliers et 30 millions d’entreprises d’ici dix ans. Ces chiffres paraissent vertigineux mais nous sommes en Chine : WeChat compterait 500 millions d’utilisateurs et QQ, la messagerie en ligne de Tencent, 800 millions !
Pour les grands acteurs de l’internet, leurs immenses bases clientèle – avec lesquelles seuls les Google, Facebook et Amazon sont à même de rivaliser – et surtout les données qu’ils détiennent sur leurs utilisateurs sont leur principale ressource. Et c’est ici que les choses deviennent particulièrement intéressantes car nous allons assister à la naissance des premières banques Big Data Natives !
Alibaba a déjà enclenché le mouvement, de manière assez originale, en proposant une appli Alipay qui restitue à chaque utilisateur ses relevés d’opérations financières sur dix ans à travers un portrait individuel tenant compte de ses dépenses, des crédits qu’il a contracté, de ses rentrées d’argent, de ses rapports financiers avec ses proches et amis, ainsi que de sa prudence et vigilance dans la tenue de ses comptes. Montant et nature du crédit auquel chacun aura droit seront fonction de chaque profil individuel, que les utilisateurs pourront conserver, renforcer ou corriger. La relation bancaire est ainsi renversée. La banque estime connaître suffisamment chaque client pour lui faire d’emblée une proposition d’entrée en relation et de crédit, à travers une segmentation personnalisée, ouverte et responsabilisante qui – sans doute parce qu’elle flatte le micro-narcissisme courant sur les réseaux sociaux – a été plutôt très bien reçue, surtout par les jeunes, surpris de se découvrir ainsi et s’échangeant leurs portraits.
Chez WeBank, les choses seront différentes, quoique similaires dans l’esprit. D’après la Beijing Review, pour une demande de prêt il faudra se présenter à travers la caméra de son mobile. L’identité du demandeur sera vérifiée par croisement avec les bases du Ministère de la Sécurité publique et un profil d’emprunteur sera dès lors calculé sur la base des informations déjà disponibles concernant les activités de l’intéressé sur les plateformes en ligne de Tencent.
En somme, avec l’exploitation à large échelle des données, le Big Data, toute l’analyse de risque sera automatisée, la proposition de crédit pouvant être quasi instantanée, voir même préalable à l’entrée en relation, ce qui représente un argument évident pour conquérir une clientèle. Le gouvernement chinois attend que devenant des banques de plein exercice, les trois grands acteurs de l’internet obligent les autres banques à s’aligner sur leurs offres. Mais on voit mal comment celles-ci pourraient suivre, sur un marché qui devra être forcément de masse pour être rentable et qu’elles ignorent pratiquement aujourd’hui. On voit en revanche très bien comment des approches de ce type pourraient mettre à mal les banques si elles étaient déployées dans les pays occidentaux, par les Google ou Facebook ou, pourquoi pas, par les Alibaba ou Tencent demain.
Il y a cependant un problème. Il n’est pas parlé de prise de garanties en contrepartie des crédits. Compte tenu des populations visées, ces garanties devraient être réelles et leur prise en compte alourdirait singulièrement le process, faisant perdre en large partie les gains réalisés avec le traitement automatisé de l’analyse des dossiers. Tout reposera donc sur les algorithmes d’appréciation retenus. S’ils se révèlent insuffisants ou erronés, les pertes seront, à la hauteur des gains de clientèle possibles, vertigineuses !
Wayne C./Score Advisor