Avec le confinement, mi-mars, les projets de ventes immobilières ont brutalement été suspendus. L’acte de vente chez le notaire n’étant pas un déplacement prioritaire et les offices notariaux étant fermés au public, il était tout simplement impossible de réunir acheteurs et vendeurs pour le signer. Or il est légalement nécessaire que les parties soient réunies ou représentées à l’acte afin notamment de pouvoir exprimer leur consentement. La loi a donc été assouplie à titre exceptionnel, pour la durée de l’urgence sanitaire rallongée d’un mois. Tout peut désormais être réglé de manière dématérialisée.
Avec le décret n° 2020-395 du 3 avril 2020, l’échange des informations nécessaires à l’établissement de tous les actes notariés et le recueil du consentement peuvent temporairement s’effectuer au moyen d’un système de communication et de transmission de l’information garantissant l’identification des parties, ainsi que l’intégrité et la confidentialité du contenu (ce système de communication doit être agréé par le CSN, le Conseil supérieur du notariat).
En matière de signature électronique, deux solutions sont possibles : l’acte signé par procuration électronique et l’acte authentique électronique nécessitant une authentification renforcée, que le décret autorise particulièrement (la première solution était déjà autorisée auparavant et le restera donc ensuite).
Dans le premier cas, chaque partie signe et transmet une procuration numérique via une plateforme sécurisée et agréée par le conseil supérieur du notariat. Un collaborateur du notaire, présent à l’étude, peut alors représenter les parties à l’acte et le signer à leur place. Cette procuration suffit pour des actes comme les ventes immobilières dans l’ancien.
Dans le second cas, qui concerne certains actes « solennels » comme les ventes en l’état futur d’achèvement (ventes sur plan), les actes d’hypothèque, les testaments, donations, changements de régime matrimonial, partages après divorce ou les reconnaissances d’enfant, une visioconférence (via un dispositif agréé par le CSN) doit être organisée pour permettre la comparution simultanée à distance de toutes les parties devant le notaire.
Mais auparavant, l’identité des clients doit être certifiée via un système d’authentification renforcée (les démarches des particuliers doivent être faites à travers une plateforme également agréée par le CSN). À l’issue de la visioconférence, le notaire fait parvenir, par voie numérique sécurisée, une attestation de confirmation de consentement que chaque partie signe électroniquement. Enfin, dernière étape : le notaire signe seul l’acte au moyen d’une clé numérique qui procure à l’acte son authenticité.
Ces dispositifs se heurtent à un équipement encore insuffisant chez de nombreux notaires (seulement 40% des offices seraient équipés en visio-conférence). Mais tout peut passer par une plateforme comme Quai des Notaires (labellisée le 2 avril dernier). Ce qui règle également la question pour les particuliers. Par ailleurs, le CSN a agréé un seul système de visio-conférence (Lifesize) et cinq prestataires de signature avancée : CertEurope, ChamberSign France, Universign, Yousign et Docusign France.
On pourrait donc estimer que la profession notariale est en train d’accélérer sa mutation vers le tout-digital. Mais rien n’est ni simple ! Pour le niveau 3, le plus qualifié, de signature électronique, un seul prestataire est reconnu par l’Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d’Information, DocuSign, qui s’appuie lui-même sur la technologie IDnow. Or, des notaires se plaignent de son fonctionnement et du service client, en cas de doute ou de problème, peu disponible en français.
De plus un tel dispositif revient à faire valider l’authenticité des signatures électroniques par un prestataire comme DocuSign et non par les notaires eux-mêmes, dont c’est pourtant pleinement le rôle. « Sommes-nous délégataires de DocuSign ? », ont ainsi demandé certains notaires. Qui craignent de voir ce recours à une technologie nouvelle marquer en fait une étape décisive vers la généralisation d’un modèle anglo-saxon dans lequel le notaire et la notion d’officier public à la française n’existent pas.
De plus, la digitalisation permet-elle d’accélérer le traitement des dossiers ? Un récent article souligne que des dispositions administratives l’empêchent et qu’il ne suffit pas de digitaliser une bureaucratie pour la rendre moins bureaucratique.
En somme, nous avons donc une solution digitale commode dans le contexte actuel de crise parce qu’elle permet d’éviter les déplacements physiques mais qui, pour le reste, n’apporte ni rapidité, ni simplification, ni sécurité vraiment supplémentaires.
Nous avons de plus une solution dont la mise en œuvre dépend des notaires, lesquels ont ceci de commun avec les banques que de nouveaux acteurs ne peuvent légalement se substituer à eux, alors même que la solution les place en situation d’incertitude. Et ceci dans un cadre flou concernant l’évolution à terme de leur profession telle qu’elle est envisagée par les autorités de tutelle. Cela ressemble beaucoup, de ce point de vue, aux dispositions de la DSP2 vis-à-vis des banques : on demande à des acteurs qu’on n’autorise légalement personne à remplacer pleinement de mettre en place une technologie qui permet en partie de se passer d’eux ! (encore est-ce temporaire pour les notaires).
Dans ces conditions, l’accélération du passage au tout-digital pourrait être moins forte et moins totale à court terme que ce qu’on peut imaginer. La technologie ne suffit pas seule à transformer rapidement un métier.
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