Début 2014, nous posions la question : la banque de demain sera-t-elle surtout pour les riches ? Soulignant qu’il s’agit là d’une orientation assez nette chez plusieurs établissements anglo-saxons, nous doutions qu’elle représente une orientation très pertinente. De fait, HSBC vient d’annoncer la fermeture prochaine de son agence Premier à Poole (Dorset). Une agence créée en 2007 qui, unique en son genre, était réservée aux gens aisés.
Son ouverture avait suscité un léger scandale, auquel HSBC avait répondu avec une certaine morgue que tous ses clients ne sont pas égaux et que les plus aisés ont besoin de meilleurs services.
Pour être reçu dans cette agence, située près de Sandbanks, un quartier résidentiel où les prix immobiliers atteignent des records mondiaux, il fallait avoir au moins 50 000 £ en dépôt, des biens immobiliers d’au moins 200 000 £, ou bien seulement 100 000 £ mais avec un salaire minimum de 75 000 £ (soit environ 100 000 € ; le salaire britannique moyen est d’environ 25 000 €).
Pour les autres, pour les pauvres !, un automate était installé en dehors de l’agence ; laquelle ne délivrait donc pas simplement des services différenciés (à l’instar des autres centres Premier, installés à côté des agences normales) mais marquait une véritable ségrégation spatiale et sociale.
Pour autant, cette agence où les moins aisés n’étaient pas souhaités n’avait rien de très flatteur, rien qui la distingue beaucoup d’une agence lambda.
Ce dernier point est révélateur. Bien sûr, avec son côté « on ne mélange pas les torchons et les serviettes », l’agence de Poole a un côté outré qui peut choquer. Elle n’en exprime pas moins une tendance assez forte chez de nombreux établissements aujourd’hui. Quelque chose dont les banques ne parlent pas, bien sûr, mais qu’elles ne peuvent guère manquer de considérer.
Une large partie de leurs clients sont peu rentables (voire pas du tout !). Par ailleurs, de plus en plus multibancarisés, ils sont de moins en moins fidèles et enclins à confier tous leurs avoirs à une même banque. Pour tous ces clients, dès lors que les canaux digitaux permettent de leur donner accès aux produits bancaires les plus consommés, les services en agences sont devenus beaucoup trop onéreux pour les banques. Pour les contacts de vive voix, des conseillers en ligne peuvent suffire. Quelle banque peut, aujourd’hui, éviter de formuler ce constat ? L’idée ne pouvait donc qu’apparaître : réserver le face à face en agence aux plus aisés. Aux riches les agences, aux pauvres le mobile et les automates !
Bien entendu, nous n’y sommes pas et toutes les banques, très loin de là, n’ont pas choisi une telle orientation. Néanmoins, les banques doivent aujourd’hui se positionner par rapport à elle. Et, en ce sens, la fermeture en novembre prochain de l’agence Premier d’HSBC à Poole est clairement un signal d’alerte. L’agence n’a pas gagné assez de clients et ses clients ne la fréquentent pas assez. Cela n’était pas attendu !
Force est cependant de considérer qu’en l’occurrence trois erreurs stratégiques ont été commises. Des erreurs assez simples, ce qui ne peut manquer d’étonner de la part d’un établissement de l’envergure d’HSBC :
- Réserver un service, jusque là accessible à tous, ne suffit pas à le valoriser. Les clients qui en bénéficiaient n’avaient pas plus de raison de se rendre dans leur agence.
- Par rapport aux canaux digitaux, le face à face a certainement une dimension valorisante dans bien des cas. Il est d’ailleurs demandé comme tel par une grande majorité des clients. Mais pour s’exercer pleinement, cette dimension valorisante doit toucher la clientèle courante et non haut-de-gamme.
- Enfin, un constat s’observe un peu partout : la fréquentation des agences n’est pas directement liée au niveau de revenu mais est corrélée à d’autres facteurs et répond à certaines motivations précises. Ce qui tend à montrer que même chez les plus grands établissements, un continent ignoré reste à découvrir : les clients et leurs attentes.
T. Lowry/Score Advisor