L’expression anglaise « Impact Financing » n’a pas encore trouvée une traduction française communément acceptée. Parlons donc de « Finance d’impact » en attendant ; ce qui est flou certes mais pas beaucoup plus qu’en anglais. Quoi qu’il en soit, si le terme est vague, sa réalité se précise de plus en plus. Il s’agit de conjuguer investissements et financements bancaires avec leurs impacts positifs d’un point de vue environnemental, social ou de gouvernance (ESG). Pour les fonds d’investissement et les banques, il s’agit ainsi non seulement de tenir compte de l’impact sociétal de leurs financements mais encore d’en rendre compte aux prêteurs. Avec le soutien des pouvoirs publics, l’approche est en train de se généraliser et le métier de banquier en sera assez profondément transformé.
En elle-même, l’approche n’est pas vraiment nouvelle. La Banca Etica italienne, première matrice de beaucoup d’autres institutions s’étant développées depuis, a été créée à Padoue en 1999. A son initiative, une Fédération Européenne des Banques Ethiques Alternatives voyait le jour dès 2001, comptant, côté français, le Crédit Coopératif, la NEF, la Caisse Solidaire du Nord Pas de Calais et Femu Qui. En 2003, plusieurs grandes banques définissaient les Principes de l’Equateur. Les adoptant en 2007, la Société Générale, par exemple, intégrait des critères environnementaux et sociaux à ses activités de financement.
Avec la crise et la volonté de rompre avec la finance spéculative, avec la banque casino, la Finance d’impact s’est développée. Elle recouvre aujourd’hui toute une constellation d’initiatives au plan mondial. Fonds de capital-développement éthiques comme Alter Equity en France, qui n’hésite pas à intéresser les dirigeants des entreprises qu’il finance à la réalisation des objectifs d’un Plan ESG parallèle à leur business plan. Fonds de fonds, comme Alterra Impact Finance en Suisse. Banques spécialisés dans des financements engagés et soutenant directement acteurs (Ekobanken en Suède) ou projets (Cultura Bank en Norvège). Plateformes de crowdfunding, comme Spear en France (à laquelle trois banques sont associées). Conseil aux investisseurs sous forme de méthodologies (Kharmax de l’Impact Finance Fund) et d’événements (Impact2 du Comptoir de l’Innovation). Aide aux entrepreneurs pour mieux cerner leurs impacts ESG potentiels, avec l’Unreasonable Institute américain. La Finance d’impact devient même une accroche principale pour des banques généralistes, comme Fidor Bank en Allemagne, le Crédit Coopératif en France ou la Merkur Cooperative Bank danoise ; qui propose notamment des préfinancements à des entreprises agro-alimentaires des pays en développement exportant vers la Scandinavie.
Il ne faudrait surtout pas croire que la Finance d’impact se limite à quelques initiatives en marge du marché financier classique. Comme rappelé ci-dessus avec les Principes de l’Equateur, certaines des plus grandes banques se sont emparées du sujet. Ainsi JP Morgan Chase, qui publie un Impact Investor Survey annuel, ou BNP Paribas dont les encours d’épargne salariale d’entreprises collectés et placés dans des fonds solidaires sont passés de 100 à 600 millions € de 2010 à 2013.
L’Impact Financing correspondrait à 46 milliards $ aujourd’hui. On parle de 100 milliards $ d’ici 2020. A ce stade, la notion de financement responsable deviendra une quasi norme, se déployant sous différentes dimensions. De manière très intéressante, ainsi, l’European Outsourcing Association France et la Rockefeller Foundation organisent dans quelques semaines une table-ronde sur l’Impact Sourcing, l’Outsourcing responsable.
La Finance d’impact pourrait devenir d’autant plus importante qu’elle sera promue par des pouvoirs publics à bout de ressources budgétaires et se tournant vers chacun pour qu’à travers son épargne – et donc à travers les banques, dans leur fonction la plus classique de transformation des dépôts en crédits – il participe à l’avancée des grandes problématiques de société.
En 2013, lors d’un G8 Impact Investing, David Cameron a réuni une Social Impact Investment Taskforce (qui a publié son rapport en septembre 2014). Les USA ont lancé une National Impact Initiative, mobilisant la Small Business Administration. L’UE a défini un label « European Social Entrepreneurship ». En France, Bpifrance soutient la Finance d’impact. Ce ne sont certainement pas là des pis-aller. Face à des problématiques comme l’insertion ou la réinsertion professionnelles, par exemple, la Finance d’impact pourrait sans doute être plus efficace que bien des programmes publics. De sorte qu’en plus d’avantages fiscaux, on peut envisager que la responsabilité ESG fasse bientôt l’objet de contraintes réglementaires, notamment pour les banques.
La Finance d’impact a ainsi toutes les chances de devenir une véritable norme dans le domaine financier. Et, lorsque ce sera le cas, il est facile d’anticiper que se brisera l’unanimité qu’elle recueille aujourd’hui (qui peut être contre le fait que les financements bancaires répondent à des critères ESG ?).
Qui définira les critères ? Qui fixera les priorités ? Peut-on sérieusement prétendre être durable et rentable ? s’est demandée la Stanford Social Innovation Review. Les critères ESG ne risquent-ils pas d’être antiéconomiques dans bien des cas de figure ? La crise des subprimes n’a-t-elle pas trouvé son origine dans une initiative du Gouvernement fédéral américain pour favoriser l’accès à la propriété des ménages aux revenus les plus faibles ? L’enfer, c’est bien connu, est pavé de bonnes intentions.
Pour autant, la tendance vers une finance responsable semble irréversible et cela souligne que les banques, concernées au premier chef, ont tout intérêt à ne pas être passives face à cette évolution de fond. Plutôt que de faire le dos rond face à ce qui changera à terme assez considérablement leur métier – dire aux clients ce qu’on fait de leur argent, reconnaître le crédit quasiment comme un droit, mesurer l’impact de leurs financements sur l’ensemble d’une chaine de valeur, etc. – à elles d’innover, d’être sources de propositions, d’avancer elles-mêmes des critères. C’est là un sujet non pas pour demain mais immédiat. Si l’on considère que l’ancrage dans l’économie réelle et locale est une tendance forte pour les banques en 2015, la Finance d’impact ne représente après tout que l’étape suivante.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor