Les chatbots sont des programmes d’intelligence artificielle capables de discuter avec nous et de répondre à nos questions à travers un service de messagerie instantanée ou chat. S’ils sont très bien faits, on peut avoir l’impression que l’on converse avec un humain et les chatbots se développent actuellement à travers l’idée d’en faire de véritables assistants personnels avec lesquels on puisse communiquer en langage naturel, voire même développer une relation quasiment « humaine ».
Des solutions de gestion des finances personnelles se sont ainsi installées sur Facebook Messenger, comme Trim qui, en accédant aux comptes bancaires, détecte les dépenses inutiles et peut se charger de certaines démarches, comme la résiliation d’abonnements – tâche pour laquelle ce robot sera sans doute en liaison directe avec un autre robot !
KLM Airlines a installé un bot sur Messenger qui permet à ses clients d’accéder à leur dossier et de s’enregistrer, obtenir leur carte d’embarquement, recevoir des informations sur leur vol ou le changer. Le bot se substitue ainsi aux services en ligne, qu’il s’agisse du site de la compagnie ou de son appli – il dispense d’avoir à télécharger cette dernière. De là, certains ont annoncé que les bots signifiaient la fin des apps. Toutefois, il semble limitatif de considérer que les chatbots ne sauraient être développés que sur les plateformes de messagerie instantanée. Les bots bancaire se développent aujourd’hui, plutôt que prioritairement sur les plateformes de messageries – sur lesquelles les enjeux de sécurité ne sont pas minces – à partir des applis de suivi de ses comptes et dépenses, les applis de PFM (Personal Finance Management). Comme Erica, un assistant virtuel qui sera intégré dans l’appli mobile de Bank of America.
Un double enjeu apparaît avec les bots : l’instantanéité des services et leur facilité, ce qui recouvre dans les deux cas la possibilité de tout gérer en langage naturel et, mieux même, en parlant. Certains estiment que 80% des interfaces de service existants vont devenir conversationnels. Les robots vont ainsi mettre particulièrement en avant la parole humaine. Et plus encore peut-être !
Déjà une nouvelle évolution est apparue : doter les robots d’une intelligence émotionnelle. En détectant les changements de ton de leur interlocuteur, signes d’impatience ou de mécontentement, ils sauront adapter leur « comportement » en conséquence et améliorer encore ainsi l’expérience utilisateur. Le logiciel Affdex, de la startup Affectiva (créée en 2009), sait par exemple différencier un sourire forcé d’un sourire sincère et est à même de déterminer si une personne simule ou non la douleur. Quelques banques, comme BNZ en Nouvelle-Zélande, ont commencé à tester ce genre de solution : les mouvements faciaux indiquant émotions et réactions face à une proposition commerciale sont décryptés de manière automatisée.
Et l’étape suivante se laisse à son tour deviner : que les robots affichent à leur tour des émotions ! Il convient donc d’imaginer que les assistants robotisés seront dotés, sinon d’une « personnalité », au moins d’un profil psychologique leur permettant d’introduire une certaine « chaleur humaine » dans les relations avec leurs interlocuteurs et, surtout, de faire preuve de « créativité », en complétant leurs raisonnements logiques par une dose d’« intuition ». Toutes ces caractéristiques ayant pour but de rendre les interactions avec les robots faciles et spontanées, comme avec des humains, on concevra sans doute, pour les humaniser, des robots commettant des erreurs et des maladresses, des robots hésitants et même des robots « sexués ». En conséquence, certains imaginent déjà que, demain, l’attachement aux robots qui partageront notre vie sera inévitable. Déjà, un robot démineur de l’armée américaine a suscité d’étranges réactions. Simple bâton à huit pattes, il perd celles-ci lorsqu’elles explosent au contact des mines – ce qu’un colonel, trouvant cela trop cruel, n’a pas supporté !
Mais voici qui va beaucoup plus loin encore et paraît franchement vertigineux : à la mort de son meilleur ami, décédé brutalement dans un accident de voiture à 34 ans, Eugenia Kuyda, la directrice de la startup de chatbots Luka, a décidé de créer, à partir de milliers de messages, SMS ou e-mails que son ami avait pu écrire, un chatbot qui soit comme un avatar capable de parler « comme » lui, de discuter en reproduisant ses expressions, en imitant sa sensibilité, son humour, même. Le scénario avait été imaginé par Black Mirror, la série d’anticipation britannique, dans l’un de ses épisodes. La réalité a rejoint la fiction !
Dialoguer avec des avatars de proches décédés pourrait-il un jour devenir possible ? Surfant sur la multiplication des sites post-mortem comme After me, Marius Ursache a fondé en 2014 Eterni.me – A Company Offering Immortality & Skype Chats with the Dead. Son objectif : « Vous rendre éternel en créant votre avatar qui vous survive à votre mort. »
Seulement, deux ans et demi plus tard et alors que plus de 33 000 utilisateurs se sont inscrits, nulle trace de ces avatars ! Créer des milliers de chatbots à partir de millions de données collectées parait très largement inaccessible. Il suffit d’attendre que la technologie suive, dira-t-on. Mais il n’est pas sûr qu’une telle remarque soit pertinente. Car ici, la technologie invoquée n’existe tout simplement pas encore ! On ne fait que l’invoquer, pour convoquer en revanche tout un bouquet de vieux mythes : immortalité, double de soi, machine remplaçant l’homme. Et dès lors que l’idéologie prime, il n’est pas certain que les progrès suivent.
On ne peut prendre qu’avec précautions tout un discours, florissant aujourd’hui, sur l’avenir des robots. Anna, l’assistant virtuel d’Ikea, a aujourd’hui disparu sans avoir changé nos vies ! Le test de Türing, en lui-même discutable et discuté, se propose d’évaluer quand il ne sera plus possible de différencier les réponses d’une machine et celles d’un humain. Aucune machine n’est capable de réussir ce test actuellement. A partir de là, parier sur les avancées technologiques futures présente des limites et notamment celle-ci qu’il n’est pas du tout certain que les robots trouveront le plus d’utilité à singer les hommes, plutôt qu’à les assister.
Avec les chatbot, un modèle d’interaction client est apparu qui généralise le mode conversationnel. Cela ne signifie pas que les opérateurs humains en soient exclus et qu’il faille donc développer, pour les remplacer, des robots capables de les singer, au point de tromper les clients – ce qui parait un objectif en lui-même fragile et peu consistant. Soit pour baisser les coûts à niveau de service égal – ce qui devra demeurer un objectif irréaliste pendant encore un long moment. Soit pour le pur plaisir de réaliser un exploit technique. Si les interactions client s’élargissent à travers des interfaces automatisées, c’est pour que le client prime et non la technologie. Les apports de cette dernière doivent être envisagés sous cette perspective. Il s’agit de déterminer, en d’autres termes, ce qu’apportent très réellement en propre les robots, avant de savoir s’ils doivent être conversationnels – ce point parait fondamental car le non respect de cette règle réduira vite l’impact des robots à un gadget ou à un canal de service bas de gamme.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor
PS : le titre de ce billet reproduit celui du très suggestif ouvrage de Serge Tisseron Le jour où mon robot m’aimera !, Paris, Albin Michel, 2015.
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