Avant-hier soir, nous avons acheté en ligne un billet d’avion sur le premier site voyagiste français. Un aller simple que nous avions l’intention de compléter par d’autres billets. Notre itinéraire couvre plusieurs pays en effet et ce qui serait très simple à traiter avec une personne au téléphone, en lui indiquant nos préférences (horaires, classes, compagnies, …) sur chaque partie du voyage, devient nettement plus aventureux et long à réaliser en ligne car cela n’a pas été prévu. En fait, cela s’est même révélé impossible. Bienvenue dans le nouveau monde digital !
Notre second achat de billets était d’un montant un peu élevé, parce qu’il couvrait plusieurs voyages. Or le paiement, avec la même carte que pour le premier achat, n’est pas passé. Pourquoi ? Pas d’explication. Nous essayons avec une autre carte. Refus. Nous changeons de site pour acheter les mêmes billets. Refus. Nous nous rendons alors sur le site de la compagnie aérienne pour acheter le billet couvrant la dernière partie de notre voyage. Toujours le même refus. Aucune explication.
Panique : nos cartes de paiement sont-elles bloquées ? Comment faire ? Vérification le lendemain : les cartes passent toujours dans les commerces physiques. Nous appelons notre banque. Notre conseillère nous rassure : il n’y a eu aucun blocage de leur part et les plafonds de paiement ne sont pas atteints.
Nous appelons le numéro d’assistance qui apparaît au dos de notre carte. Nous tombons… sur un service qui n’est absolument pas celui qui aurait dû être joint et nous sommes finalement mis en contact avec le service clientèle de notre banque. Nous passons une nouvelle fois tout en revue. Plafonds d’autorisation, etc. Rien ne coince. Pas d’explication. Peut-être le site qui nous a fait le premier refus saura-t-il nous dire, nous suggère-ton. Le voyagiste propose plusieurs canaux de communication, dont un chatbot, mais un seul, passé 17 h, est disponible (!?). Au téléphone, la conseillère n’a pas davantage de réponse. Elle ne comprend pas du tout pourquoi ils ont refusé le second paiement. Avez-vous réessayé ? Oui, ça bloque toujours. Pour vos billets, il vaudrait mieux que vous les achetiez demain (ce soir, il est passé 18 h, c’est fermé) au téléphone. Là, vous n’aurez pas de problèmes. Bienvenue dans le nouveau monde digital !
Ce matin, dernière tentative : le service cartes de notre banque. Cela a été difficile de les joindre mais une fois la communication établie nous avons tout de suite eu l’explication. Comme le second achat que nous voulions faire était d’un montant relativement élevé (2 000 €), la compagnie aérienne à laquelle nous avions acheté le premier billet et à laquelle nous nous apprêtions à en acheter un autre pour notre parcours, craignant que la carte ait été détournée, a fait bloquer – pour notre sécurité – tous les achats que nous pouvions vouloir réaliser avec cette carte et même avec les autres cartes que nous possédons ! Avons-nous été avertis ? Prévenus ? Non. Tout cela s’est fait à partir des USA, où est géré le site de la compagnie aérienne, nous apprend le service cartes. Mais pas de problème, ce même service va nous « débloquer » et d’ici une paire d’heures nous pourrons réaliser nos achats.
Cette minuscule mésaventure a quelque chose d’assez fascinant. Dans le cadre d’un processus totalement automatisé – et peu performant, nous l’avons souligné – un robot ou ce qui lui ressemble a décidé de ce qui paraissait normal ou non et a agi en conséquence, non seulement sans nous demander notre accord mais même sans nous prévenir !
Malgré la gêne occasionnée, on ne nous a dit ni pourquoi les paiements étaient rejetés ni ce qu’il nous fallait faire. Sans doute cela coûterait-il trop cher. D’ailleurs, le site voyagiste n’était pas plus informé. A nous de nous débrouiller et en l’occurrence le problème a été résolu par notre banque. Pour la compagnie, il n’y a pas de petites économies. Mais il y a, avec la digitalisation, le risque d’une dégradation inouïe des services. Non seulement parce que les parcours clients sont extrêmement limités, dès lors qu’il faut tout automatiser au moindre coût. Non seulement parce qu’aucune interaction client n’a été prévue mais surtout, si l’on regarde bien, parce qu’on estime qu’un robot sait mieux que nous ce qui doit être fait… pour notre sécurité.
Est-ce ainsi qu’évolueront les assistants virtuels de gestion financière ? Décidant de nos dépenses, pour notre sécurité ? Il ne s’agirait plus dès lors d’une simple dégradation de service mais bien d’une véritable dépossession des usagers, obligés de se couler strictement dans un moule processuel, qu’ils doivent non seulement apprendre mais deviner. Pour les y contraindre, on supprimera les centres d’appels, on compliquera les voies de recours et d’exception – notre banque a pu nous débloquer seule mais, demain, n’aurons nous pas à produire des justificatifs… pour notre sécurité. Bienvenue sous le nouvel ordre digital
P. Adoux/Score Advisor