La « ville intelligente » mobilise de multiples partenaires : opérateurs téléphoniques, grands acteurs de l’Internet, promoteurs immobiliers, énergéticiens, constructeurs automobiles, acteurs des infrastructures et du transport. Et les banques ? Quels seront leurs places et leurs rôles dans la Smart City ? Comment peuvent-elles contribuer à y promouvoir, diffuser et coordonner de nouveaux services ? Nous avons mené une enquête dans 7 pays européens qui fournit des résultats parfois surprenants, en tous cas inédits. À ce stade, en effet, les avis et ressentis du public face à la transformation des villes ont rarement été sondés. Et la question de l’évolution des services financiers dans ce contexte, quoique déterminante est encore très nouvelle.
Chaque mois, dans le monde, la population des villes augmente de 200 000 personnes. Les citadins représentent 54 % des Terriens. Ce chiffre devrait atteindre 70 % en 2050 et, pour faire face à un tel afflux, les villes doivent devenir intelligentes.
Qu’est-ce que cela signifie ? Pour le Parlement européen, une « Smart City » ou « Ville intelligente » est « une ville qui cherche à résoudre les problèmes publics grâce à des solutions basées sur les technologies de l’information et de la communication, sur la base de partenariats d’initiative municipale et mobilisant de multiples parties prenantes. » L’expression « smart city » semble être particulièrement apparue en 2005, Bill Clinton demandant à Cisco, au nom de sa fondation, de « développer des plans de décongestion des villes, à commencer par San Francisco, Séoul et Amsterdam » afin de « diminuer les émissions de CO2 et économiser à la fois pour les citoyens et les communautés locales du temps et de l’argent ». Depuis, l’expression est devenue commune et, en France aujourd’hui, une ville est dite « intelligente » si elle présente au moins une initiative technologique concernant sa gouvernance, ses habitants, ses modes de vie, la mobilité en son sein, l’économie ou l’environnement. Cela concerne 25 communes dont, à côté de Paris, Lyon et Marseille, 14 comptent moins de 250 000 habitants.
Pour le moment, les initiatives lancées par les « smart cités » françaises concernent principalement l’open data, c’est-à-dire l’ouverture de l’accès aux données collectées par les administrations locales aux entreprises et aux citoyens, pour promouvoir des services mieux adaptés aux besoins des administrés. Viennent ensuite le Wifi linéaire public, c’est-à-dire l’accès pour tous gratuitement à l’internet sans fil ; les smart grids de gestion des consommations électriques, notamment pour l’éclairage municipal ; ainsi que les plateformes participatives destinées à donner la parole aux habitants, que cela soit pour apporter des idées, des observations ou signaler un problème aux services de la mairie. Réseaux, plateformes, mise à disposition des données publiques : les communes tâchent actuellement de se doter des moyens pour fonctionner demain de manière intelligente, c’est-à-dire, avant tout, de manière connectée.
Quels services innovants ces connexions nouvelles feront-elles naitre ? Nous avons voulu en savoir plus en invitant les habitants de sept pays européens à se projeter dans un avenir dont les premiers contours se mettent actuellement en place et à anticiper quels pourront être les services financiers auxquels ils accéderont demain.
La question du rôle des établissements financiers dans la ville intelligente est rarement posée et la réponse est surprenante : pour le public, les banques représentent les acteurs les plus légitimes pour animer et coordonner les nouveaux services dans les villes, après les pouvoirs publics mais devant les GAFA ou les opérateurs téléphoniques. Pour 40 % des Européens, la banque est identifiée comme le meilleur tiers de confiance, particulièrement pour la sécurité et la conservation des données personnelles. Cela est susceptible de se traduire par une confiance accrue vis-à-vis des applications bancaires, notamment pour accéder à des services urbains – ce que peu d’établissements ont encore envisagé. Mais pour conserver ce capital de confiance, les banques doivent s’engager sur l’utilisation et la conservation des données clients, par exemple à travers la mise en force d’un droit à l’oubli ou la transparence de leurs critères de scoring.
Alors que le public est sensible à des offres à options complètes et end-to-end (allant de l’achat d’un véhicule ou d’un bien immobilier à sa revente éventuelle sur une plateforme mise en place par le vendeur, par exemple), il souhaite également pouvoir compter sur une seule application de gestion et de paiement. Une application permettant de faire passer des offres beaucoup plus documentées qu’aujourd’hui. Ainsi par exemple, pour un bien immobilier, on disposera d’informations sur le quartier (activités commerciales, flux de transports, catégories d’habitants,…) et sur l’immeuble (bilan énergétique). Dès lors, les conseils gagneront à être davantage personnalisés et instantanés. La ville intelligente sera vécue à travers des outils connectés de gestion et d’assistance embarqués.
Les données vont devenir ainsi un levier essentiel pour enrichir l’expérience client et élargir le périmètre des services financiers, à travers des partenariats. Ce constat rejoint une mutation importante : les consommateurs, se transforment en producteurs de données, de transport et d’énergie et seraient sensibles au fait d’être rémunérés. Les tarifications, quant à elles, devront s’adapter tant à l’émergence de l’économie du partage qu’à la généralisation de ce qu’on peut nommer « l’effet Airbnb ». Les consommateurs deviennent également financeurs à travers la finance participative – d’ores et déjà, 21 % des Français voudraient être informés et conseillés en la matière. En somme, le nouveau décor des villes, adapté aux comportements émergents des consommateurs, commence à se dessiner et les banques doivent rapidement s’y projeter.
Or, de ce point de vue, 74 % des Européens, tous âges confondus, estiment que les agences bancaires existeront toujours dans les villes de demain. Ils expriment un besoin d’intégration des services digitaux – ils sont 53 % à anticiper la fin des moyens de paiement et estiment qu’ils n’auront plus besoin demain d’espèces, de chèques ou même de cartes de paiement au profit de solutions biométriques – mais ils valorisent la possibilité d’interactions directes. De sorte que, dans la ville intelligente, les banques devront faire évoluer leur dispositif de contact en face à face, comme leurs automates.
Certains experts voient des services innovants, comme les robot-taxis, émerger d’ici 5 ans. Néanmoins, le niveau d’attractivité encore faible de ces nouveaux usages démontre qu’à ce stade, les comportements évolueront sans doute plus progressivement. Il convient finalement de se convaincre que les esprits ont évolué. La technologie n’impressionne plus de nos jours. Elle est souvent anxiogène – d’autant plus qu’on en comprend souvent fort mal, comme pour les voitures sans chauffeur, la réelle nécessité.
Dès lors, si le public exprime un besoin de rationalisation des services digitaux, il attend dans le même temps plus de relations humaines. Que souhaite-t-il trouver dans une agence bancaire ainsi ? Plus qu’une relation de conseil experte, pouvoir tout de suite s’adresser à quelqu’un pour résoudre un problème ou lever une difficulté. Dans les villes de demain, c’est le contact humain intelligent et immédiat qui sera le plus valorisé.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor