The Financial Brand a récemment classé Ron Shevlin (qui écrit justement dans The Financial Brand) parmi les quatre leaders d’opinion les plus influents dans le domaine bancaire, après Brett King, Chris Skinner et Jim Marous (FinServ 25: the most influential voices in banking). Or, si Brett King peut souvent agacer quand il joue les gourous et si l’humour très british de Chris Skinner n’est pas toujours constructif, Ron Shevlin – qui ne manque pas non plus d’humour (voir par exemple ce billet : How to keep a FinTech Idiot busy) – est certainement l’un des observateurs des évolutions bancaires les plus lucides et exigeants du moment. Son récent ouvrage, Smarter Bank, mérite donc un détour ; particulièrement dans un pays, comme le nôtre, où le Compte Nickel peut être présenté sans rire comme un vibrant succès.
Autant le souligner d’emblée, tous ceux et ils sont nombreux en France qui attendent encore le Grand Soir des banques seront déçus. Shelvin ne croit pas à la rapide et inéluctable disparition des agences bancaires, s’il plaide en revanche pour leur nécessaire transformation. Il reste très dubitatif sur l’utilité de la présence des banques sur les réseaux sociaux, surtout de la manière dont la plupart d’entre elles y apparaissent. Il est tout aussi sceptique face au Big Data (a « complete and utter delusion »).
Quant à l’impact des nouveaux canaux digitaux, qu’on présente la plupart du temps comme une menace pour les banques, car favorisant l’apparition de nouveaux acteurs, des startups fintech aux grands de l’internet, Shevlin n’y perçoit ni une vraie menace, ni un réel problème. Il souligne plutôt la facilité et la rapidité avec laquelle les banques ont su les développer. De sorte que, si l’on se débarrasse des nombreux effets d’annonce à l’égard de la banque digitale – Shevlin est au mieux de sa verve lorsqu’il examine d’un œil critique les innombrables et très approximatives études dont nous sommes régulièrement bombardés quant aux attentes de la Génération Y ou quant au développement fulgurant de l’usage des nouveaux canaux, etc. – le vrai problème pour les banques n’est pas celui-là.
Leur problème, c’est l’érosion du modèle économique de la banque de détail. Aux USA, les interchanges ont baissé, la facturation des découverts est désormais réglementairement encadrée. Face à des clients surbancarisés (pour ceux qui sont vraiment rentables) et de plus en plus à même d’arbitrer entre les offres des banques, le compte courant n’est plus le pivot de la relation bancaire à partir duquel on comptait jusque là développer l’équipement des clients. Or, si ce modèle économique s’érode, les nouveaux canaux digitaux n’y changent rien. Au contraire. Ils font baisser les marges.
Les coûts de fonctionnement d’une banque sont devenus démesurés, ne serait-ce que d’un point de vue réglementaire. Ils doivent donc plus que jamais être répartis sur une très grande masse de clients. La course à la taille, frappante aux USA depuis quelques années, n’est donc pas achevée (tôt où tard, pourrait-on ajouter, elle concernera l’Europe aussi bien), tandis que l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché bancaire sera sans doute très limitée dans un horizon proche. La plupart de ces nouveaux acteurs seront plutôt rachetés par des banques.
Autre constat déterminant, les gens ne sont pas prêts à accorder beaucoup plus d’attention à la gestion de leurs opérations bancaires – quoique les banques aient beaucoup de mal à s’en convaincre, qui consacrent l’essentiel de leurs efforts d’innovation à permettre la consultation permanente de ses comptes sur mobile ou sur les objets connectés, comme l’Apple Watch. Pas plus que de nombreux nouveaux acteurs grossissant rapidement en taille, les consommateurs ne vont pas précipiter une révolution bancaire.
Pour les banques, ainsi, la menace est interne beaucoup plus qu’externe. La question est aujourd’hui pour elles d’accroître leur PNB, estime Shevlin. En France, une telle perception ne s’est pas encore vraiment installée. Certes, le PNB de nombreux établissements de banque de détail baisse régulièrement depuis maintenant quelques années. Mais on y voit plutôt un effet conjoncturel.
Pour Ron Shevlin, l’issue concerne l’expérience client. Les banques doivent passer d’un marketing produits au développement de véritables services, à travers les outils de PFM et vers une assistance financière personnalisée, pour la gestion de ses comptes, de ses crédits et de son épargne. On sait qu’en France, comme ailleurs, c’est là désormais une tendance forte. Celle-ci ne s’en heurte pas moins au fonctionnement, à l’organisation et aux grilles de tarification de la plupart des établissements.
T. Lowry/Score Advisor