Dans notre avant-dernier billet, nous avons souligné que les données disponibles invitent à considérer que la multibancarisation (être client de deux banques ou plus) concerne au moins une majorité de Français et qu’en même temps, le churn ou taux de perte de clients reste faible (de 3% à 3,5% par an en moyenne). Les Français, en d’autres termes, s’ils quittent peu leur banque, n’en ouvrent pas moins d’autres comptes ailleurs, avec une tendance à spécialiser les établissements en fonction de leurs différentes offres. Un couple, ainsi, aura son compte principal dans une banque et les comptes d’épargne de ses enfants dans une autre, tandis qu’il ouvrira encore un compte dans une troisième pour profiter d’une offre spéciale : un livret d’épargne attractif, un abonnement de télésurveillance, … Au simple vu du nombre de clients qu’enregistrent les banques, il faut croire qu’une telle situation est commune. Pourtant, on n’en tient pas assez compte.
La presse annonce par exemple que les Français sont de plus en plus tentés par la banque en ligne. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? En 2012, Boursorama, ING Direct et Monabanq ont gagné tous les trois ensemble environ 140 000 nouveaux clients, soit des augmentations de respectivement 13%, 5% et 8% qui les placent parmi les établissements les plus conquérants l’année dernière. Toutefois, ces nouveaux clients y ont-ils tous transféré leur compte courant principal ? Il ne le semble pas (seulement 2% des Français ont leur compte principal dans une banque en ligne). Or, s’il ne s’est agi pour eux que d’ouvrir un compte, notamment de dépôt, ces nouveaux clients ne paraissent pas particulièrement nombreux quand, la même année, les seules Caisses d’épargne ont gagné 600 000 nouveaux clients. On ne peut pas parler de « ruée » vers la banque en ligne en tous cas et, en fait, dans un contexte de multibancarisation, il n’y aura pas – il ne peut y avoir – de « ruée ». La banque en ligne attire un nombre significatif de Français, dont nombre d’entre eux ne se sentent pas pour autant poussés à changer de banque. Ils y feront plutôt un dépôt à l’occasion et l’acquisition de clientèle de ces établissements continuera à être assez « tranquille », comme aujourd’hui, laissant le temps aux banques classiques de gérer leur mutation digitale.
Pour employer des termes savants, dès lors que la multibancarisation devient pratiquement la règle, on ne peut plus penser en termes schumpétériens d’innovation de rupture, de « destruction créatrice ». Une offre phare limitée – le livret Zesto de RCI Banque, par exemple – se remarque plus que la proposition d’un nouveau modèle de relation bancaire !
Il semble cependant que beaucoup de banques aient encore un peu de mal à penser en ces termes. La communication institutionnelle de beaucoup d’établissements, ainsi, défend la marque, l’image de la banque, ses valeurs, tandis que le marketing est lui très orienté produits. Il déroule des offres. La multibancarisation invite plutôt à orienter la communication institutionnelle vers les produits – il s’agit surtout d’offrir du choix pour attirer les clients – et à donner au marketing une orientation résolument clients, mettant en avant les dispositifs d’écoute, la récompense de la fidélité, etc. – jusqu’au « droit à l’imprévu », comme l’annonce LCL, la banque française qui a sans doute le mieux saisi cette orientation. Alors que sa communication institutionnelle est, elle, très orientée produits, LCL a lancé en janvier 2011 un Plan triennal baptisé « Centricité clients », mettant la satisfaction client au centre de la relation bancaire.
De plus en plus, cette centricité clients gagne l’offre des banques. Un certain nombre d’entre elles, notamment, ont renoncé aux packages au profit d’offres à la carte, dont le Features Store de Barclays présente aujourd’hui un exemple bien abouti. Tandis que des initiatives ponctuelles, locales, parfois assez surprenantes, apparaissent. L’été dernier, le Crédit Agricole Centre France (Allier, Creuze, Corrèze, Cantal, Puy-de-Dôme) a supprimé toute communication produit dans ses 280 agences pour rappeler plutôt ses valeurs, notamment l’accueil des clients et le sociétariat.
Cette centricité clients, qui représente la meilleure réponse à la multibancarisation, se heurte néanmoins à une difficulté : elle ne permet guère de baisser les charges d’exploitation au démarrage, au contraire. Elle semble donc supposer une assez forte rentabilité des clients. Ce n’est pas exactement le cas de LCL qui, dans notre dossier sur les performances des banques de détail françaises se situe exactement à la médiane (55° place sur 110 établissements) pour le PNB par client – parmi les banques classiques, ce sont les Caisses d’épargne qui réalisent le meilleur PNB par client, notamment les Caisses d’épargne Midi Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Nord France Europe, Picardie et Lorraine Champagne Ardennes, exactement comme les Caisses régionales du Crédit Agricole trustent les meilleures places pour la rentabilité. C’est notre rengaine de l’automne : les vrais modèles de la banque de détail sont en Province ! Mais ceci est un autre sujet.
Avec un PNB par client moyen et un coefficient d’exploitation relativement élevé (66%) : le Plan « Centricité clients » de LCL a pour objectif de regagner des clients et de gagner des clients plus haut de gamme ; ces derniers étant réputés plus rentables. Voilà cependant un autre jugement que la multibancarisation amène à reconsidérer : parce qu’ils diversifient plus que les autres leurs comptes bancaires, les clients les plus haut de gamme de la banque de détail ne peuvent plus passer pour être forcément les plus rentables.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor