Le site Culture Banque ayant eu la bonne idée de présenter 3 films à ne pas manquer sur la finance, nous nous permettrons de les compléter par quelques ouvrages, déjà assez anciens mais peu connus en France, qui eux-aussi méritent un détour.
Dans un livre devenu un classique, A Piece of the Action : How the Middle Class Joined the Money Class (New York, Simon & Schuster, 1994), Joseph Nocera raconte – de manière très vivante, avec beaucoup de portraits psychologiquement fouillés – comment la banque est devenue une industrie de masse aux Etats-Unis à partir des années 60. Comment, notamment, le crédit à la consommation et les OPCVM sont apparus. A la marge de Wall Street qui méprisait ces formules.
Joseph Nocera montre surtout qu’ils ne furent pas uniquement portés par la croissance et l’optimisme économiques des Trente Glorieuses. Ils répondaient à une demande forte de simplicité et d’autonomie des clients. Lesquels, au lieu d’avoir à passer par leur banquier pour la moindre demande de crédit ou d’épargne, aspiraient à choisir eux-mêmes face à une véritable gamme de produits standardisés. Exactement comme pour leurs autres consommations.
A l’heure de la banque digitale, cette thématique est très actuelle et, justement, le livre de Nocera trouve un bon prolongement avec celui dans lequel Arkadi Kuhlmann et Bruce Philp racontent comment ils ont créé ING Direct en Amérique du Nord (The Orange Code : How ING Direct Succeeded by Being a Rebel with a Cause, Hoboken, John Wiley & Sons Inc, 2009).
Arkadi Kuhlmann, qui aime se faire photographier sur sa Harley et qui a pu être surnommé « The Bad Boy of Banking » n’est pas du genre à mâcher ses mots et n’est pas non plus le genre de patron à s’enfermer dans son bureau. Quand il avait un moment, il s’installait au centre d’appels et répondait lui-même aux clients !
C’est donc le récit d’une création. Avec tous ses obstacles. Le premier étant, pour Kuhlmann, l’inertie même des clients ! Les gens sont persuadés, explique-t-il, que les banques forment un cartel. Qu’elles s’entendent. Et donc que ce que l’une propose finira par être également proposé par les autres, donc par la leur. C’est pourquoi ils n’en changent pas. Et c’est pourquoi ING Direct voulut d’abord ne pas passer pour une banque. Deuxième obstacle, en interne : les gens pragmatiques ! Tous ceux qui veulent des actions concrètes, qui attendent des résultats rapides et qui veulent garder les pieds sur terre. En général, dit Kuhlmann, ce sont les plus conservateurs et les plus moutonniers ! Un vrai changement repose sur l’instauration d’un esprit d’entreprise. Qui est également et qui sera de plus en plus, estime Kuhlmann, le véritable actif d’une banque aujourd’hui. Son vrai critère différentiant.
L’esprit d’entreprise, un autre ouvrage en parle, justement ! Et en donne une autre vision : A colossal failure of common sens de L. G. McDonald & P. Robinson (New York, Crown Business, 2009) raconte de l’intérieur la faillite de Lehman Brothers.
Pas mal de livres ont été écrits sur la crise. Du côté français, par exemple, celui de Marc Roche Histoire secrète d’un Krash qui dure (Paris, Albin Michel, 2016). Le livre de McDonald et Robinson est cependant autre chose. Le récit quasiment au jour le jour d’une faillite qui allait ébranler le monde. L’histoire – véritablement haletante, même si l’on connait la fin ! – de personnels et responsables d’une entreprise qui réalisent que tout risque de s’effondrer puis qu’ils vont tout droit dans le mur et qui ne peuvent rien y faire ! La culture d’entreprise en l’occurrence ne le permettait pas.
A partir de cet exemple, notamment, deux professeurs de Management, Mats Alvesson & André Spicer, ont pu suggérer que la culture courante au sein des entreprises de services financiers décourage les employés d’utiliser l’ensemble… de leurs capacités intellectuelles. Dans The Stupidity Paradox (Profile Books, 2016) ils parlent d’une culture de« stupidité fonctionnelle ».
Selon eux, des entreprises qui recrutent des personnes très diplômées, comme les banques, développent assez inévitablement une culture prônant le « N’y réfléchissez pas, faites-le. » Réfléchir trop longuement à des difficultés et poser des questions gênantes y sont des attitudes systématiquement découragées. C’est que, tant que tout va bien, cette stupidité fonctionnelle contribue à maintenir et renforcer l’ordre dans des organisations regroupant beaucoup de gens très éduqués. Elle permet aux employés de mieux collaborer et garantit que le travail est accompli de manière efficace et sans soulever trop de questions. Toutefois, des questions importantes, ainsi, ne sont pas posées et les oublis qui en résultent peuvent aboutir à des catastrophes ou à des scandales. D’où le paradoxe : il y a des choses très stupides que seuls des gens très intelligents peuvent parvenir à faire !
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