Que vous soyez amateur de ses chroniques ou que vous n’ayez jamais entendu parler de Marc Fiorentino, il vaut certainement la peine de jeter un œil sur son dernier ouvrage Faites sauter la banque ! qui parait ces jours-ci.
Le livre nous invite à nous passer des banques ou, plus exactement, à reprendre notre liberté vis-à-vis d’elles. Marc Fiorentino ne nous appelle pas à retirer notre argent de notre compte mais simplement à faire jouer la concurrence. Loin de céder à un facile bank bashing, il dénonce finalement davantage notre passivité face à des banques qui ne sont après tout que des commerces comme les autres. Nous avons toujours besoin d’un compte en banque, reconnait l’auteur. Mais ce compte n’a plus de raison d’être le pivot autour duquel tourne toute notre vie financière – et, à partir de là, l’ouvrage fournit des conseils et un plan d’attaque très pratiques.
Il y a cinq ans, un tel livre n’aurait pu être écrit et c’est précisément pour cela que, premier du genre à notre connaissance en français, il a la valeur d’un véritable manifeste. Certes, on pourra discuter dans le détail l’une ou l’autre des options qu’il préconise mais l’important est que l’ouvrage prenne acte, de manière suffisamment précise, de toutes les solutions alternatives qui se sont multipliées, à part des banques classiques, dans tous les domaines : paiements, épargne, placements, crédits, … Or ce n’est qu’un début !
Avec la crise de 2008, les banques ont été maudites : irresponsabilité, rapacité, spéculation effrénée, sombres influences sur les politiques, abus tarifaires en tous genres et, finalement, restriction du crédit. Aucun acteur économique n’est plus mal vu que les banques aujourd’hui et, certes, dans bien des cas ces accusations sont injustes. Mais le mal est fait. Pour autant, le public ne s’est pas massivement détourné des banques et les solutions qui promettaient de réinventer rien de moins que l’économie financière pour la rendre enfin stable et équitable ont rapidement fait long feu (quoique pas totalement : ceux qui le souhaitent peuvent toujours soutenir les efforts de NewB, en Belgique, par exemple).
Rien ne changera-t-il donc ? Non pas et c’est ici que le livre de Marc Fiorentino intervient. Car c’est le point de vue utilitaire et libéral de mise en concurrence qu’il défend qui menace le plus les banques désormais et qui, à terme, condamne sans doute un grand nombre d’entre elles. Or ce point de vue est aujourd’hui porté par un segment de clients désormais bien identifié : les Bankless.
Tout a commencé aux USA en 2010 avec le Durbin Amendment, réduisant de moitié les interchanges (commissions interbancaires sur les paiements par carte), ainsi qu’avec la Regulation E, limitant sérieusement la facturation des découverts sur cartes. D’un seul coup, un grand nombre de leurs clients parurent ne plus être rentables aux banques qui, remontant en riposte fortement leurs tarifs (sans doute en remerciement d’avoir été sauvées deux ans auparavant par les contribuables !), les invitèrent à aller voir ailleurs, tandis qu’un certain nombre d’autres clients se détournèrent d’elles.
Immédiatement, plusieurs offres prépayées low cost (sur mobile et cartes) furent définies par des startups et des acteurs non bancaires à l’adresse des unbanked ; d’abord et surtout des exclus mais parmi lesquels on identifia bientôt un nombre conséquent de jeunes actifs et diplômés que ces offres satisfaisaient très bien et qui appréciaient de se passer des banques classiques. Des jeunes (moins de 35 ans) qui ont notamment fait le succès de GoBank ou de Wealthfront, qu’on nomma les « debanked ». Au même moment, en Allemagne, Fidor Bank, d’abord quasiment « alternative », constituée sur les réseaux sociaux, commençait à rallier une classe créative se voulant socialement responsable en même temps que largement décomplexée vis-à-vis des questions financières. Or, déclarant volontiers qu’aucune loi n’oblige les activités bancaires à être ennuyeuses !, Fidor offrait justement : 1) une dimension sociétale et communautaire forte, 2) des services de banques classiques et 3) des innovations dont on ne trouve une gamme aussi étendue nulle part ailleurs (crowdfunding, social funding, paris en ligne, trading d’or, …).
20% des foyers ne sont pas bancarisés aux USA mais les Bankless, au sens où nous venons de les présenter, représentent un segment bien plus étroit : de 4% à 8% de la population. Toutefois, l’appellation réfère moins à une population précise qu’à une attitude qui va se généraliser dès lors qu’elle trouvera de plus en plus des offres qui lui correspondent. Les Bankless ne sont pas tant ceux qui vivent sans banque que ceux qui sont prêts à s’en passer, à privilégier des offres nouvelles et des solutions alternatives. Parce qu’ils ont l’impression que les banques classiques ne répondent pas à leurs besoins ou à leur style, parce qu’ils n’aiment pas leur image et parce qu’ils entendent de toute manière adopter une attitude de mise en concurrence permanente, pour les services financiers comme pour leurs autres achats. C’est à tous ceux-là – ils sont nombreux – que Faites sauter la banque ! s’adresse.
Les Bankless étaient surtout ceux que les banques rejettent ou servent mal. Pour eux ont été inventées des solutions qui sont désormais à même de séduire tous ceux qui veulent prendre leur vie financière en mains. Dès aujourd’hui, une offre de plus en plus foisonnante leur en offre la possibilité, la plupart du temps à part des banques classiques. Un marché financier élargi se met en place, au sein duquel les banques – qui ne s’en sont pas assez préoccupé pour la plupart – ne seront plus que des acteurs parmi d’autres et plutôt à la traine. A terme, cela signifiera la fin des modèles de banque que nous connaissons aujourd’hui. En fait, le compte à rebours a déjà commencé :
10) Les banques n’ont plus le monopole des moyens de paiement.
9) Le conseil en gestion se démocratise et multiplie ses formules hors des banques.
8) Les outils de PFM, promus par de nouveaux acteurs, changent totalement relations et offres bancaires.
7) La notion de banque principale s’efface. La multi-bancarisation est de plus en plus générale.
6) Les offres se banalisent. Des supermarchés bancaires sont apparus.
5) Acheter des produits financiers devient une question de style, d’affinité, de convictions.
4) Seules quelques banques semblent vraiment réaliser la menace.
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Guillaume ALMERAS/Score Advisor