L’économie du partage va-t-elle faire apparaître de nouvelles formes de financement ? Des crédits partagés, par exemple ? Nous n’avons pas la réponse ! Mais la question mérite certainement d’être posée. Notamment à propos du lancement de Ford Credit Link, une solution de crédit partagé qui a été largement saluée et quasi unanimement présentée comme une solution tout à fait innovante – ce qui n’est pourtant pas si sûr. Ouvrons le débat.
Depuis quelques mois, Ford teste à Austin (Texas) une solution de crédit-bail sur 24 mois pour l’acquisition d’une voiture neuve qui peut être partagée entre 3 à 6 emprunteurs, auxquels une appli permettra également d’en gérer en commun l’usage et l’entretien. Cette solution fait partie du plan Smart Mobility, à travers lequel Ford explore de nouveaux usages autour de l’automobile. En l’occurrence, il s’agit de satisfaire des personnes qui ont besoin d’un véhicule mais pas à temps plein et qui peuvent donc assez facilement le partager avec d’autres. Selon une formule différente, Ford a également proposé l’année dernière à 25 000 de ses clients ayant acheté leur véhicule à crédit de le louer à temps partiel pour en soulager la charge de remboursement.
Nous avons cherché. Nous n’avons pas trouvé d’exemple équivalent. En elle-même, cependant, la solution Ford Credit Link n’a rien de vraiment nouveau. Proche d’un système de cautionnement mutuel, elle représente en fait une très vieille formule – la solidarité d’emprunteurs – qui a notamment été utilisée dans le cadre de la micro-finance.
Dans le cas présent, chacun des 3 à 6 emprunteurs fait l’objet d’une analyse de crédit particulière mais tous sont responsables collectivement. Si l’un fait défaut, en d’autres termes, et n’assure pas sa part de remboursement, les autres devront le remplacer. Et si ce défaut provoque un impayé, il semble que cela pourra impacter (comme pour les colocations immobilières) le credit score de chacun des autres emprunteurs. Le crédit est pris à plusieurs mais chacun en est responsable pour sa totalité. C’est là une situation confortable pour le prêteur mais est-ce vraiment une innovation allant dans le bon sens pour les emprunteurs ?
L’économie du partage est encore une expression assez floue. On lui associe notamment un système comme celui d’Uber à travers lequel, cependant, rien n’est partagé. Par ailleurs, l’idée a ses puristes pour lesquels elle correspond à la vision toute romantique d’une économie quasiment stationnaire ou en état de décroissance, où tous les hommes partagent directement, harmonieusement et sans friction ce qu’ils possèdent.
De manière plus concrète, on peut dire que l’économie du partage se traduit par l’usage commun d’un bien privé, un véhicule par exemple qu’un particulier loue à d’autres conducteurs, comme avec Koolicar, ou bien qu’un opérateur central prête à des usagers, comme avec ZipCar ou les Autolib’ à Paris. Mais l’économie du partage peut également correspondre à l’usage que quelques particuliers font d’un bien qu’ils possèdent en commun, comme avec la formule de Ford Credit Link.
Dans tous les cas, l’usage du bien tend à être plus intense avec plusieurs utilisateurs, ce qui accélère son renouvellement mais, en même temps, parce que l’utilisation se limite à des besoins réels et peut ainsi être partagée entre plusieurs utilisateurs, sans que tous aient à acheter le même bien, la tendance est à une moindre consommation d’ensemble et avec elle à un moindre recours au crédit.
Sous cette perspective, l’avenir pour les constructeurs automobiles parait tendre vers une solution de location à l’usage, à la minute, comme avec le car sharing ReachNow que BMW développe notamment à Seattle. En regard, Ford peut paraître s’accrocher à la formule un peu obsolète d’un crédit.
Il est sans doute beaucoup trop tôt pour trancher fermement la question. Dans l’immédiat, les deux systèmes semblent pouvoir parfaitement coexister.
Dans une économie du partage, toutefois, les déconvenues et les sources de discordes, pour les utilisateurs, peuvent d’abord venir d’une mauvaise estimation, par chacun, de ses besoins réels ; lesquels peuvent se révéler moindres ou supérieurs par rapport à ceux anticipés. Sous cet aspect, une formule de location à la minute, surtout étendue à un grand nombre d’usagers, ce qui permet d’en répartir les coûts et donc d’en diminuer le prix, parait bien plus souple et commode que le carcan qu’impose un crédit partagé de 24 mois.
Mais d’un autre côté, posant une obligation d’entente, la formule de Ford pourrait après tout avoir, si elle se généralisait, des impacts sociétaux plus forts, correspondant davantage à ce que recherchent les thuriféraires de l’économie du partage. Elle possède en tous cas certainement le mérite de souligner qu’en économie collaborative, il s’agit aussi de partager… les emmerdes !
Guillaume ALMERAS/Score Advisor
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