Demain, notre réputation en ligne – notre réputation tout court – va devenir un problème. Il faut donc d’ores et déjà se soucier d’imaginer des moyens de la gérer de manière active et favorable. C’est ce que propose Traity, une startup de Mountain View créée en 2012. Une startup à ce point disruptive qu’elle propose de résoudre un problème dont, sans doute, vous n’avez encore jamais entendu parler ! Une startup qui paraît née quelques années trop en avance. A moins que ce problème de réputation ne soit bien plus pressant qu’on ne réalise.
Parmi toutes les startups qui fleurissent un peu partout, il est frappant de constater combien proposent des services de surveillance digitale aux entreprises. Des solutions fondées sur l’analyse automatisée de données massives ; la rencontre de la robotisation et du Big Data.
Behavox (créée à Londres en 2014) propose aux entreprises de surveiller leurs employés et notamment aux banques et aux sociétés de gestion de surveiller leurs traders. Se plient-ils à toutes les règles en matière de compliance et de déontologie ? Préparent-ils un mauvais coup ? Quelle est la probabilité que tel ou tel commettent l’irréparable ? Behavox surveille les conversations et les actes et bâtit des graphes retraçant qui voit qui, qui parle avec qui. Un panopticon robot, en quelque sorte. Ravelin (Londres, 2014) promet le même genre de surveillance mais appliquée aux paiements en ligne, pour détecter mauvais payeurs et incidents à prévoir. Si l’on veut les deux services à la fois, il est possible de s’adresser à la startup hollandaise Synerscope (2011). Pour tout savoir, de même, sur ses clients ou partenaires, il y a Trulioo (Vancouver, 2011). Pour détecter des fraudes et, en même temps, favoriser les comportements d’achat en ligne, voir Qumram (Zurich, 2011). Pour stocker toutes les données nécessaires à de tels dispositifs, essayez Duedil (Londres, 2011). Etc.
Quel monde toutes ces initiatives sont-elles en train de nous inventer ? Il est difficile de l’imaginer très réjouissant ! Toutes ces nouvelles entreprises vendent de la précaution et elles ne pourront rien risquer de laisser passer. Elles développeront nécessairement des procédures toujours plus restreintes et suspicieuses – à l’instant même, nous venons ainsi d’être bloqués sur un site dont nous avons ouvert cinq différentes pages en même temps. Nous avons été identifiés comme un robot et avons été rejetés. Bienvenue sous le nouvel ordre digital !
Puisqu’il s’agit de sonder les comportements, on peut redouter que le moindre écart, la plus petite erreur, voire une simple hésitation seront sur-interprétés à notre défaveur. Et, tout cela étant conservé, cela nous fera une réputation qui nous échappera totalement, dont nous n’aurons jamais vraiment connaissance. Une réputation à propos de laquelle des entreprises seront interrogées néanmoins, force leur étant de remplir de manière toujours plus complète nos profils, quitte à recourir à des méthodes de plus en plus intrusives, voire à la limite de la légalité.
Au final, dans un manque de transparence total, nous serons soumis à des refus, à des blocages auxquels nous ne comprendrons rien. Jusqu’à réaliser tout ce que nous venons de voir. Il s’agira alors de défendre notre réputation, de l’atteinte à notre vie privée jusqu’à la pure et simple diffamation. Et il y aura des robots pour déclencher des chicaneries juridiques – comme dans Accelerando, le roman de Charles Stross qui anticipe le monde digital de demain, des bots juridiques sont capables de lancer une action judiciaire toutes les 16 secondes !
D’un autre côté, dans ces conditions, les grands gagnants seront ceux qui sauront réintroduire de la confiance, malgré les machines. Et c’est là qu’apparaît Traity.
Traity est une plateforme – rassemblant déjà 4,5 millions d’utilisateurs – qui ambitionne de devenir un voire le réseau universel de confiance. Chacun peut y créer son passeport de confiance, à travers une page personnelle qui ressemble à celle d’un réseau social. On peut, à son libre choix, y rassembler tout ce qu’on a envie de faire connaître à son propos pour mériter la confiance des autres – tout, jusqu’aux points de fidélité gagnés sur des sites commerciaux. On peut se faire recommander par d’autres membres ou les recommander. Un « reputation API », enfin, permet d’étendre le réseau de confiance à d’autres sites.
Traity veut permettre à chacun de gérer et de faire valoir sa réputation et il veut définir les standards qui permettent de le faire. L’idée peut paraître assez étrange. Elle semble cependant tout à fait sensée : dès lors qu’on va vouloir y sonder les comportements individuels, internet va rencontrer un problème général de suspicion, source de nombreux blocages. L’enjeu sera donc d’y créer de la confiance.
Pour autant, il serait illusoire de croire que, d’ores et déjà, on peut se promener sur le net en tout anonymat et en préservant tout à fait notre vie privée. Croire que l’on peut interagir en ligne sans y être reconnu, sans que nos passages et interactions ne finissent pas nous y constituer une réputation. Cette réputation, il importera de plus en plus que nous ayons l’initiative de la gérer, plutôt que d’autres ne s’en chargent à notre place, sans même que nous le réalisions.
Par ailleurs, il ne pourra y avoir de confiance qu’à travers la force de tout un réseau. Il serait également illusoire de penser en effet que chacun pourra à son seul niveau s’occuper de l’image dont il dispose sur le net.
Avec plusieurs coups d’avance, ainsi, Traity s’efforce de répondre à des problèmes qui n’apparaîtront pleinement sans doute que demain. De sorte que beaucoup sans doute auront du mal à saisir l’intérêt de sa démarche ou son objet même. Même si l’on peut penser que, dès aujourd’hui, les établissements financiers ne peuvent ignorer ces questions, qui les touchent au premier chef.
Guillaume ALMERAS/Score Advisor